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HAMLET – Shakespeare – Gerard Watkins – DU 29 JUIN AU 10 JUILLET 2021 – THEATRE DE LA TEMPÊTE

C’est un rendez vous avec la plus mythique des écritures de Shakespeare. Pour y voguer avec la troupe dans une traversé fulgurante d’un monde dont le pourrissement a commencé bien avant le meurtre de Hamlet père. Celle des guerres absurdes menées par des orgueils démesurées, celle des amours violents et possessifs, celle de place assignée de la femme dans l’histoire, qui est celle du monde, comme celle du théâtre. Avec pour objectif de jouir ensemble de cette magnifique leçon d’anti-héroïsme par la plus belle tribu de losers jamais inventé. Pour traduire je n’ai ouvert que les textes anglais, et j’ai eu la joie de plonger dans l’histoire de ses représentations. J’ai pu y développer et y inscrire mes interrogations. Remplacer le pentamètre par une forme de musicalité et d’invitation à la scansion. Et concentrer le texte par des coupes sur son aspect familial plutôt que militaire.

J’ai tenu à renouer avec cette tradition dans la tradition qu’Hamlet soit jouée par une immense actrice. Ce sera ma cinquième collaboration avec Anne Alvaro, une sorte de célébration de notre amour du travail. Il y a chaque année quelque part dans le monde une femme qui joue Hamlet. J’y vois au delà de l’empowerment nécessaire, une volonté de déjouer la transmission de la vendetta, de la bien trop persistante violence masculine, pour faire machine avant vers l’empathie, le sensible, la pensée, et la poétique. Pourtant le fantôme du père, errant dans son purgatoire pour n’avoir eu la possibilité d’expier ses crimes atroces, sera tenace. Et gâchera à jamais pour le prince toute possibilité d’un amour heureux. Aucun parcours ne raconte mieux l’iniquité et l’injustice faite aux femmes que le parcours d’Ophélie. Elle y est décrite de manière quasi géométrique. A Laërtes sont proposées la liberté et la jouissance, à Ophélie, l’enfermement et le dogme de la peur d’être abusée sexuellement.
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Mais la magnifique invention de Shakespeare va bien au delà d’un règlement de compte. Il dirige son ensemble scénique vers la plus parfaite symbiose des « amants, fous et poètes ». Mes récentes recherches sur l’Hystérie (pour Ysteria) m’ont ouvert des portes empathiques et compréhensives sur le mystère humain, et sur les degrés d’expressions artistiques véhiculées par la folie. Les essais de Freud, qui a toujours cherché dans les œuvres d’art de théâtre, de Shakespeare à Ibsen, les traces de l’invention de la psychanalyse, et d’autres, sont évidemment une source d’inspiration quand il s’agit de s’attaquer à celle d’Hamlet. Mais on peut fouiller là-dedans autant qu’on veut, on n’y trouvera pas aucune réponse. Car c’est précisément le théâtre produit, dans tout son art, dans toute sa mise en abime, présent derrière chaque syllabe, qui nous embarquera, de signes en signes, vers le sommet d’un pur au-delà poétique. Et on se prendra de plein fouet, car il est bien question de cela, la voracité de la représentation de la folie par Hamlet. On le sait amoureux de l’art dramatique comme on le sait enclin à la mélancolie. L’extension de la folie vers la poésie est, chez Shakespeare, naturelle. Shakespeare semble mettre ici de côté son art d’une poésie au service de l’art d’aimer pour la faire basculer au service de l’art d’être fou. Troubles d’oppositions comportementales, hallucinations visuels et auditives, mélancolies psychédéliques seront donc au rendez-vous. Ophélie nous enterrera tous avec une leçon d’art brut dont on ne se relèvera pas. Ce n’est pas juste Hamlet qui est subversif et insolent. C’est Shakespeare, se cachant comme d’habitude derrière un léger paravent, qu’il suffit de déplacer. Parce qu’au théâtre, on y déplace des paravents. Gerard Watkins

YSTERIA

YSTERIA du 7 au 16 Mars au TnBA / Bordeaux , et du 21 Mars au 14 Avril au Théâtre de la Tempête – La Cartoucherie – Paris

Texte, mise en scène et scénographie
Gerard Watkins
Lumières de Anne Vaglio
Son François Vatin
Costumes de Lucie Durand
Régie Générale de Frederic Plou
Avec Julie Denisse, David Gouhier, Malo Martin, Clémentine Menard et Yitu Tchang

Production du Perdita ensemble (Compagnie conventionnée par le Ministère de la Culture et de la Communication – DRAC Ile de France) – Coproduction Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine – Avec le soutien du Fonds SACD Théâtre, du Fonds d’Insertion pour Jeunes Artistes Dramatiques DRAC et Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, d’Arcadi Ile-de-France, de l’Adami et la culture avec la copie privée, de la SPEDIDAM,Résidence de création Théâtre Paris-Villette En Co-Réalisation avec le Théâtre de La Tempête
Administration de production Le petit bureau – Virginie Hammel & Claire Guièze

Quelque part, de nos jours, dans ce qui serait une sorte d’installation médicale, trois médecins-psychiatres, tentent de percer le mystère de deux de leurs patients atteints d’hystérie de conversion.

Ysteria propose une version moderne des fameuses « leçons du Mardi » menées par Charcot à la Salpêtrière, en remettant au gout du jour le dossier Hystérie. Si une maladie détient à elle seule l’interminable histoire du sexisme, c’est certainement l’hystérie. Passant d’une représentation théâtrale de son histoire, à des séances de travail public sur les patients, les tentatives d’interprétations des médecins vont se transformer peu à peu en une sorte de confrontation d’interprétations et de méthodes. À mi-chemin entre le thriller, la comédie de mœurs, et la conférence médicale, Ysteria cherchera en nous une empathie avec les chercheurs, leurs sujets, et leur mystère. Car si cette maladie est une forme de langage du corps, elle est aussi le langage étouffé d’une société, de ses malaises, et de ses non-dits.

Les démonstrations publiques d’Hystérie orchestrées par Charcot à la Salpêtrière ont été l’évènement médicale et artistique le plus marquant de la fin du 19ème siècle. Elles ont servi de socle à l’invention de la psychanalyse, mais ont aussi fasciné les artistes, qui leur ont voué au fil des années un véritable culte. Comme si l’hystérie constituait en elle même l’expression artistique absolue.

Ysteria tentera de la remettre au gout du jour, en rouvrant ce dossier aussi connu qu’incompris pour ausculter ce qu’elle a à nous raconter sur notre époque. Nos deux héros-sujets-cobayes sont des jeunes de 20 ans. Ils connaissant des difficultés, sous formes de troubles physiques et mentaux, à s’adapter au monde des adultes, marché du travail, rapports sexuels, désirs naissants. Chaque cas va prendre la forme d’une nouvelle, d’une tranche de vie arrachée au tumulte du monde moderne. Il y aura un cadre sérieux et scientifique à leurs évaluations, mais le « phénomène vampirisant et caméléon » de l’hystérie prendra peu à peu le dessus. Il s’agit ici de tenter de balayer les préjugés et les a priori sexistes qui n’ont cessé d’exister sur cette maladie, en la plaçant dans le contexte de sa passionnante évolution historique, mais aussi en nous faisant comprendre ce qu’elle à a nous enseigner sur le trouble, la dualité du genre et de la sexualité.

Du nom qui lui a été donné par les grecs en référence à l’utérus, à l’expression employée pour décrire une femme qui se met à dire des choses sensibles de manière véhémente, on trouve là un véritable florilège de la domination masculine à travers les âges. Mais on trouve aussi, encore aujourd’hui, une remarquable ignorance sur ce que cette maladie est, signifie, et exprime sur la société et les individus qui la constituent. On sait, au mieux, que les grecs demandaient aux femmes atteintes d’hystérie de conversion d’éternuer pour remettre leur utérus en place, que plus tard elles furent assimilées à des sorcières et brulées vives au moyen âge dans une répression qui dura plus de deux siècles, que d’importants travaux et découvertes scientifiques ont été menées par des hommes sur les femmes, concrétisés et développés par Charcot, Breuer et Freud, que des hommes ont enfin pu être classés « hystériques » à l’issue de la première guerre mondiale, que des femmes, aux Etats-Unis, dans les années 50, pour être « soignées » de leurs crises, ont subies des lobotomies. Mais le mystère demeure sur ce que signifie vraiment l’origine du terme, la condition médicale, dite hystérie de conversion. Elle continue aujourd’hui de diviser, fasciner, obséder, chercheurs, scientifiques, médecins, psychiatres, praticiens, infirmiers. Certains disent qu’elle a disparu (elle s’appelle désormais trouble neurologique fonctionnel,) d’autres qu’elle a muté, d’autres qu’elle est encore bien présente.

Ce qui revient sans cesse, et qui mettrait la plus part d’accord, c’est qu’il s’agit là d’un langage du corps, qui s’exprime par symptômes quand la parole ne peut pas ou plus agir. Dans cette forme d’expression douloureuse se devine une forme d’art, d’entonnoir somatique des maux de notre société, de ses souffrances, et de ses non-dits. On serait tenté de théoriser sur le « pourquoi » de la manifeste part féminine, par les violences sexuelles, psychologiques, ou physiques, que la femme a du subir à travers les siècles. Mais il serait absurde de se substituer à une recherche médicale. Il suffit de mettre en lumière des évènements pour que se dévoile ce que cache et révèle ces évènements. C’est bien là l’art du théâtre, et il y a dans le phénomène même de l’hystérie, une des matières théâtrales la plus légitime et fascinante qui soit. Ce que j’ai pu tenter en hiver 2016, avec les élèves de l’Eracm, me l’a confirmé. La recherche de plateau est un lieu magnifique pour apprendre ensemble, partager, et faire vibrer une expérience commune. Augustine, dans ses crises de conversions exhibées publiquement par le professeur Charcot, signifiait le viol du fils de famille bourgeois qui l’employait. L’hypocrisie d’une société entière s’exprimait alors par le corps. Tout ce que la femme fut obligée de taire en pensant ce silence essentiel à sa survie. Et qu’en est il aussi du corps de l’homme, du refus du féminin ? Que les codes sexistes continuent de lui imposer aujourd’hui. Quelles autres peurs existent aujourd’hui ? J’ai choisi d’explorer ces crises et conversions sur des sujets ayant 20 ans, ceux qui doivent s’inscrire dans une société de plus en plus codifiée, marché du travail, sexualité, amours, logements, devenus véritables parcours du combattant pour les jeunes d’aujourd’hui. Et enfin, j’ai choisi que l’on se penche enfin autant sur la part masculine que féminine.

Méthode

Affronter un mystère prend du temps. Parce que si il s’agit bien de tenter d’instruire, de partager, de rendre accessible un sujet peu abordé, mystérieux aux profanes que nous sommes, et qui a su, en tant que mystère, se transformer au fil du temps, il est important de trouver le moyen d’en faire théâtre, et comprendre à quel point il est en lui-même théâtre. Un terreau pour y développer la complexité de l’être humain et de son mystère de manière empathique, et si possible cathartique

J’ai pu développer une méthode au fil du temps qui semble « nous » convenir, c’est à dire à l’auteur, au metteur en scène que je suis, et aux acteurs.trices qui m’accompagnent. Elle nous permet cette approche, et elle prend du temps.

Origines

La première approche a eu lieu dans un contexte de recherche et de transmission. En Janvier 2016, pendant cinq semaines, avec le groupe 24 de l’ERACM, nous avons lancé et exploré toutes les pistes possibles. De l’hystérie collective de Loudun, aux expériences de Charcot à la Salpêtrière Nous documentant dans le livre de Didier Georges Hubermann, et ceux de Freud et Breuer. Explorant par improvisations les possibilités scéniques. C’était passionnant, mais il nous manquait encore cruellement de précisions et de justesse quand à la définition même du mot. Comme si l’histoire, le fait que nous étudions le sujet dans un contexte historique, nous le rendait flou. Développait des contextes de jeu et des résonnances sociales passionnantes, mais demeurait opaque quand à la science exacte du mot. J’eu l’idée alors de faire venir une professionnelle, médecin pédopsychiatre de l’hôpital Necker, à Paris, experte en la matière, Lisa Ouss-Ryngaert. Cette master class a été passionnante, éclairante, et inspirante, et a servi de base et d’élan à nos travaux. Lisa Ouss-Ryngaert avait su nous rassurer sur le caractère inexact et multiple de la science médicale, mais surtout avait ouvert notre imagination de manière compassionnelle, en nous décrivant des malades d’aujourd’hui, dans un contexte qui était le notre. C’est une des premières questions qu’on me pose, quand je parle du projet. Ca existe encore ? Comme si l’hystérie avait été irrémédiablement liée aux « leçons du mardi » à la Salpêtrière. Lisa Ouss-Ryngaert avait aussi su décrire le mystère, ce qui restait pour nous tous un mystère. Elle nous avait fait part du peu d’empathie que suscitaient les malades de conversions hystériques dans les milieux hospitaliers, avec du personnel très inconfortable à l’idée de s’occuper de patients atteints de paralysie qui pouvaient parfois se lever pour aller aux toilettes. Dans les milieux familiaux autant que hospitalier, l’hystérique rend tout le monde impatient et irascible. Et suspect. Car l’hystérie se transforme, aussi, joue au chat et à la souris à celui qui veut le traquer et le définir. Cette notion a tout de suite rendu le patient théâtralement désirable, et les élèves se sont empressés d’improviser, de trouver leurs malades.

Car cette notion de croyance est profondément liée à l’art de la scène.

Développement

Ce n’est pas non plus un hasard si, en travaillant sur le Petit Eyolf, et Hedda Gabler, Henrik Ibsen m’a mené à cette recherche. J’ai toujours aimé sa définition de l’écriture. Connaitre un personnage au plus profond de son âme, le saisir par le col, et ne pas le lâcher jusqu’à ce qu’il ait été au bout de sa destinée. Dans mon processus, je cherche à faire pareil avec un sujet. Je l’absorbe entièrement. Je cherche ce qu’il a à me raconter. Pour cela, je passe par une phase passive de lecture, où je lis à peu près tout ce qui a pu être écrit sur le sujet. Ensuite je rencontre des spécialistes, des professionnels, avec lesquels je garde le contact tout au long de la création. Mais pour que le sujet puisse réellement éclore, rester vivant, s’incarner, j’ai besoin de partager ce processus avec les acteurs.

Travail de plateau.

Commence alors la phase du travail de plateau. De l’ancrage de la fiction. Cinq acteurs.trices, ceux du spectacle, ont travaillé avec moi pendant cinq semaines en été 2018 en résidence au Théâtre de la Tempête. Cette phase d’ancrage par l’improvisation nous a permis de trouver les individus qui vont peupler le plateau. Qui sont ces médecins ? Qui sont ces patients ? Pour les patients, deux élèves de l’Eracm de la première aventure, Malo Martin, et Yitu Tchang, ont creusé leur intuition première. L’histoire que nous avions trouvé ensemble à depuis muri en nous, et j’y ai puisé l’axe principale de cette écriture, celui qui véhicule notre rapport au présent et à notre société. Car l’hystérie et sa marginalisation me semblent un axe idéal pour parler de la difficulté des jeunes aujourd’hui à s’inscrire dans une société totalement codifiée par le marché du travail et l’identité sexuelle. Ce qui fut vécu pendant les trente glorieuses comme un chant d’ouverture, de recherche, et de tolérance, s’est peu a peu rigidifié et tendu dans un désir artificiel de réussite. Cette tension est l’environnement, le « facteur favorisant » de leurs symptômes de conversions. J’y ai aussi trouvé une résonnance personnelle, une matière secrète à rêver.

Biographie des médecins

Les médecins ont été détaillés avec autant d’intention, et on a pu creuser ensemble une sorte de guerre des sexes contemporaine se menant à travers l’interrogation de la psychanalyse. S’y affrontent alors une sorte d’ex freudien repenti (David Gouhier), une Yungiene (Julie Denisse) directrice du centre, tentant de ranimer le champs du rêve comme thérapie transitoire, et une jeune et brillante thérapeute, (Clémentine Ménard) adepte de la l’hypnose et du cognitif comportementale. Cette identification des médecins est essentielle, car le sujet hystérique va les pousser au plus loin de leurs contradictions.


Biographies des internes.

La mémoire des jeunes atteints de conversions que nous avons choisi d’approfondir est un puits sans fond, une source inépuisable de jeu de miroir tendu à la société.

Anaïs, (Yitu Tchang), a été adoptée dans un milieu bourgeois et catholique Parisien. Ses parents biologiques se sont enfuit du Cambodge sur un bateau et ont sans doute laissés leurs vies dans la traversée. Anaïs est sur le point de se marier, et l’approche du mariage a aggravé les symptômes qu’elle a toujours eus. Une cécité partielle et intermittente, une forme d’écume qui lui coule de la bouche, et la paralysie de sa main gauche, viennent aggraver ses crises hypnoïdes. Ses études en pâtissent et elle s’apprête a renoncer à une carrière d’architecte pour devenir femme au foyer.

Arthur, (Malo Martin) a été déscolarisé, et travaille comme pizzaiolo à Pizza del Arte. Son dos est en proie à des convulsions noueuses, et la paralysie de son bras gauche lui empêche désormais de pratiquer son métier, mais surtout, il est victime de crises spasmodiques hypnoïdes chroniques, à raison de deux ou trois par jours. Il vit encore avec sa mère, qui veut le mettre à la porte, et il n’a plus d’autres choix que de se faire hospitaliser. Il erre de service en services, certains préférant le voir en hôpital, d’autres en internat psychiatrique. Il parle tout le temps de son frère, qu’on n’arrive ni à retrouver, ni à identifier. Il parle souvent d’un moment où il est parti avec lui dans la forêt, où ils ont campés prêt d’un groupe de « guides » de France. Et s’est retrouvé avec lui et des jeunes filles autour d’un feu de camp.

Forme

Le public serait bien dans l’embarras si on ne lui donnait pas des clefs, un terrain commun. Cela fait partie de la mission du théâtre de creuser une pensée et une expérience individuelle et personnelle au sein d’une connaissance commune. Comme la plus part des gens sont ignorants de l’hystérie, (et que nous sommes passés par là !), il m’a paru pertinent que les le spectacle contienne une sorte de débriefe théâtrale qui nous en livre les clefs fondamentales, pour nous aider à chercher ensemble, et surtout, à entendre les patients dans leur détresse. Ce débriefe interrogera ainsi le quatrième mur, car nous passerons de scènes dites publiques a des scènes dites privée a des scènes dite historiques, éclatant ainsi la notion de temporalité linéaire. En cela la forme empruntera ludiquement des aspects hystériques.

La scénographie est simple, une dizaine de banquettes, avec un dessus en velours rouge, délimitera les différents espaces. Bref rappel au divan analytique, mais aussi au fauteuil de théâtre. Derrière trois panneaux, avec des entrées sans portes, signifiants les divers « antichambres » et passerelles. Le traitement sonore et la composition musicale évoqueront celles utilisées pour l’hypnose, mais aussi, celle de l’électrothérapie, de l’hydrothérapie, et enfin, l’usage de la bande magnétique.

De l’hystérie la médecine a tout dit : elle est multiple, elle est une, mais aussi elle n’est rien ; c’est un être ou bien une dysfonction ou encore un leurre ; elle est vraie, mensongère ; c’est organique ou peut-être mental ; ça existe, ça n’existe pas.

Gérard Wajeman, Le Maître et l’Hystérique,

Le Contenu

Le Théâtre de l’Hystérie / Temps anciens

De temps en temps, le « centre médical » sera interrompu par des séquences dites historiques. Pour avoir une chance de comprendre et de transcender ce qu’elle a à nous raconter sur notre époque trouble, il est bon de suivre comme un fil révélateur son incroyable évolution à travers les siècles.

Ile de KOS – 365 ans av
« Des bruits d’orage. Des éclairs. Un berger erre dans la Grèce antique avec sa femme, atteinte de conversions Hystérique. Il cherche Asclépios, dans l’espoir que celui-ci guérisse sa femme. Le couple rencontre Parthemus, qui leur apprend que Asclépios a rejoint les olympes, et qu’il y a désormais des temples à sa gloire, ou des prêtres officient en communion avec lui. Ils se mettent d’accord sur un nombre de moutons à payer en échange de sa guérison, et Liberios, le prêtre ; la fait s’allonger sur un divan ou elle est visitée par Asclépios, muni de son bâton, et de serpents. Après une nuit bien tourmentée et remplie d’hallucinations, la Bergère guérit.

Mora – Suède – 1639 – Dans la forêt.

« En Suède, en l’an 1660 ; Bette, jeune fille, aveugle, atteinte de conversions hystériques, rencontre Hilde dans la forêt, pour se soigner avec des plantes. Elle est dénoncé comme sorcière par deux prétendants du village. L’un d’entre eux l’accuse d’avoir diminuer son sexe. Les deux juges la mettront à la question, à l’aide du « Marteau des Sorcières »

Londres – 1660

« En Angleterre, Thomas Gordon et Sydenham échangent leurs points de vue sur le cas d’un hypochondriaque, et le cas d’une hystérique. Ils évoquent leurs métamorphoses intérieures. Ils réfutent la théorie Utérine pour placer la cause dans le cerveau. Ils en profitent pour parler de leur sujet préféré, la cause de la mélancolie. »

Le Théâtre de l’Hystérie / Temps modernes

L’étude des cas Anaïs et Yaël nous plongera de facto dans l’histoire moderne de l’Hystérie, et toutes les questions qu’elle comporte. Autant dans son développement personnelle et intime au vu des deux cas présentés, que dans la folie contemporaine à vouloir cataloguer et classer dans de nouvelles cases le mystère humain.

Après être passé de symptômes de conversions à des symptômes neurologiques, et à des troubles somatoformes, l’Hystérie, dans sa terminologie, continue aujourd’hui son jeu d’apparition, disparition, et de mutation. Sa disparition brutale date de 1980. A la fois saluée pour se débarrasser enfin de son étymologie sexiste, elle a aussi fait paraître des craintes d’une volonté de voir disparaître son analyse freudienne. Commence alors un long chemin vers le comportementalisme, que l’on a vu éclore aux USA et rejoindre peu à peu le vieux continent. Dans le DSM 5, qui est le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, qui en est donc à se cinquième version, les troubles somatoformes ont été remplacé par une nouvelle catégorie controversée, les « troubles de symptômes somatiques », qui ne recouvrent pas le concept d’hystérie dans la mesure où elles s’attachent exclusivement à décrire des symptômes visibles et appréhendables sans présupposé de sous-bassement psychologique intrapsychique. Ce que l’on ne comprend pas, ni ne maitrise, est ainsi ballotté d’un service à l’autre. De nouveaux troubles apparaissent, tels que le trouble de la communication sociale (pragmatique), le trouble disruptif avec régulation émotionnelle, le sevrage du cannabis, les accès hyperphagiques, le sevrage de la caféine, la thésaurisation pathologique, la dermatillomanie, qui résiste décidemment à mon correcteur d’orthographe, le jeu d’argent pathologique, et le fameux trouble oppositionnel avec provocation. En passant de 130 à 357 maladies, on est aussi en droit de se demander si le nombres de cas n’augmenteraient pas tout simplement avec celui des définitions.

Comme le soulignait le Washington Post, Mozart aurait été immédiatement diagnostiqué et soigné pour devenir quelqu’un de normal.

Il y a évidemment la tentation de revoir naître aussi ce que l’on ressent souvent en regardant défiler les actualités, le retour de l’hystérie collective.
Les médias modernes ont amené, par la dramatisation et la répétition inlassable des mêmes informations, une multiplication sans précédent d’épidémies hystériques, alors qu’autrefois, elles étaient limitées à des collectivités réduites (couvents, salles de classe ou d’hôpital) (Showalter, 1998). Aujourd’hui, des manifestations semblables touchent simultanément plusieurs continents. Ces transmissions épidémiques fréquentes, même si elles ne sont pas nécessairement de grande gravité, relativisent les illusions messianiques portées sur Internet qui, telle une caisse de résonnance, fonctionne au moins ici autant comme un vecteur et un instrument d’amplification de peurs, de fantasmes, de projection et d’angoisses les plus archaïques que comme outil de diffusion des connaissances. La multiplication des syndromes médicaux inexpliqués en est l’un des indices. Dans ce contexte, il est vraisemblable que nous serons les témoins obligés, les prochaines années, d’expressions hystériques d’intensités jamais rencontrées auparavant.

Samuel Lepastier.

Avant d’être soupçonné d’être atteint de trouble de personnalité paranoïaque, on serait en droit de se poser cette question, quel monde nous prépare t on ? Il y a t il une pensée derrière tout ça ?

Pour revenir à Anaïs et Yaël, il est évident que nous allons laisser libre cours à la poétique et à l’imaginaire. Il est hors de question, comme je l’ai précisé au début, de se substituer à une recherche médicale. La documentation servira à faire travailler notre inconscient, notre imaginaire, pour écouter ce qu’elle a à nous dire. Voir et ressentir qu’elle a à nous exprimer. A nous proposer comme somme de résistance. Comme spectacle de désir d’ailleurs. Et de nous le dire avec le seul médium qu’il n’a jamais eu. Le corps.

C’est bien la force du théâtre que de permettre de transcender un sujet, de s’en échapper. L’hystérie nous échappe. Comme, parfois, il nous semble, dansnos vies, notre place et la place de l’autre dans le monde moderne.

ZONE A ETENDRE

S’inspirant de Shakespeare, et de Henri David Thoreau, Mariette Navarro propose ici une nouvelle manière, poétique, humaine, fantastique de créer de la pensée, de l’imaginaire, du théâtre, pour défaire l’imagerie binaire diffusée par les médias sur toutes les poches de résistances collectives à travers le monde. Des incursions du présent, notamment des évènements liés à la ZAD de Notre Dame des Landes, élaborées avec les élèves coménien.s.es, s’inviteront dans cette poétique. Zone à Etendre est aussi d’une réflexion puissante sur la mutation des êtres, qu’induit le vivre ensemble autrement, et sur nos liens intimes, physiques, et spirituels, avec la plus belle métaphore de l’exil, la forêt.

APOCALYPSE SELON STAVROS

Texte et mise en scène de Gérard Watkins

Avec Maxime Léveque
Lumières de Julie Bardin
Administration de production Silvia Mammano
11 au 30 Septembre 2017 20h
Théâtre de l’Épée de Bois – Paris
7 au 11 Mars 2018 – Théâtre Le Colombier – Bagnolet
Production – Perdita Ensemble.
Le Perdita Ensemble est conventionné par la DRAC Ile-de-France – Ministère de la Culture et de la Communication – Avec le soutien de RAVIV dans le cadre de partage d‘espaces de répétition. En Coréalisation avec le théâtre de l’Épée de Bois et le théâtre Le Colombier – Bagnolet.

Contact
Le petit bureau / Virginie Hammel & Claire Guièze
Virginie Hammel : 06 13 66 21 33 / virginiehammel@me.com
Claire Guieze 06 82 34 60 90 / claire.guieze@orange.fr

Le monde est un et commun, mais lorsqu’il sombre dans le sommeil,
ils se tournent chacun vers le sien propre.

Héraclite

Apocalypse selon Stavros est né d’une intuition. De partir avec Maxime Lévèque sur les traces de l’Apocalypse de Jean de Patmos, et de l’essai critique posthume de DH Lawrence, pour interroger ce que cette œuvre révèle sur une partie du monde occidental appelée Europe. 12 jours d’immersions et d’improvisations en totale liberté pour chercher à l’endroit même ou le poème sanglant et terrifiant fut créé, son antidote, pour débarrasser l’homme de l’idée de la fin, de la sélection, de la punition et du jugement. Car Stavros voit, comme le décrit Deleuze dans son introduction du livre de Lawrence, que l’apocalypse n’est ni joué par Donald Trump dans le rôle de l’Antéchrist, ni inscrit dans le désastre écologique de la planète qui mène à la fin du règne humain, mais bien dans l’organisation du monde telle qu’elle existe déjà, avec ses frontières, ses iniquités, ses armées, son système éducatif, ses chars Titus, ses dettes, ses plans d’austérités, ses médias. De son effroi, Stavros assistera à son apocalypse, c’est à dire à sa révélation, renouveau de son être, et de ses possibles relations avec l’autre. Stavros a un objectif. Interroger l’Apocalypse. Qui définit la pensée Européenne depuis des siècles. User de la même force visionnaire pour exposer ce qu’elle est, et non ce qu’elle raconte sur le désir de certains de s’en sortir quand d’autres périssent. De démanteler par une poétique le projet économique, sociétal et culturel, là, ou Lawrence tentait de démanteler le christianisme. Il y à la extension du domaine de la lutte envers les manipulations de la peur, ses outils, sa fabrique mondiale. Stavros, en un contre-poème épique, va jouer sans cesse avec le contenant et le contenu

L’apocalypse, c’est l’homme qui fini par sortir dans le jardin pour choisir la branche avec laquelle il va se flageller.
L’Apocalypse, c’est le mur.
L’apocalypse, c’est ce qui fiche et fige les êtres.
L’art de l’apocalypse n’est pas l’art de la prophétie effrayante.
L’art de l’apocalypse est l’art d’en révéler la présence dans le geste enfermant du jeu de la société moderne avec la peur.
L’art de l’apocalypse consiste à faire comprendre que nous sommes en plein dedans.
L’art de l’apocalypse est le jeu des images qui libère de la peur.

Apocalypse selon Stavros est tout sauf un essai religieux. La seule religion que l’on y trouve est dans l’idée que la poétique et sa plus sincère expression sont une religion en soi. Il s’agit d’un essai sur l’homme et sa manière de voir, ses visions, ses interprétations, sa difficulté à se débarrasser des fictions imposées, ses peurs, ses angoisses, et ses manières de les vaincre ou d’y succomber. D’un essai sur l’artiste et ses contradictions. Ses tentatives et ses difficultés à se faire comprendre. Sur le monde tel qu’il a été verrouillé, dans ses structures, son urbanisme, ses institutions, ses lois.
Dans notre méthode de travail, nous avons pris soin d’absorber le plus possible le travail de pensée, de recherches, de lectures avant de se lancer dans la fabrique du poème. Car le poème doit évidemment le contenir organiquement et ne pas l’expliquer. Il ne s’agit pas d’un pensum mais d’une fabrication fictive et poétique libre. Il conviendra au spectateur d’avoir le plaisir ou non d’y déceler ce qu’il exprime politiquement sur le monde. D’en déceler la force de vie et la qualité de ses contradictions. Nous avons cartographié différents espaces sur l’Ile de Patmos. Collines, clairières, monastères, baies, friches, pour construire, en improvisant, les bases du récit, et la structure affective et imaginaire de Stavros. Ce travail sur le vertige et la mise en abîme a été filmé, et ensuite écrit.
Écrire une performance, c’est inscrire, dans la dramaturgie du récit, la pertinence de cette forme, participation du publique, expérience partagée, usage du temps, du silence, de la recherche, du fragile, de la rupture narrative et temporelle. C’est donner une identité profonde au performeur, et déjouer la construction habituellement linéaire d’un monologue, par une construction rythmique, musicale, et un jeu constant entre l’illusion et la réalité.

« L’apocalypse, ce n’est pas le camp de concentration, (Antéchrist), c’est la grande sécurité militaire, policière, et civile de l’état nouveau (Jérusalem Céleste). La modernité de l’apocalypse n’est pas dans les catastrophes annoncées, mais dans l’auto-glorification programmée, l’institution de gloire de la Nouvelle Jerusalem, l’instauration démente d’un pouvoir ultime, judiciaire, et moral. Terreur architecturale de la Nouvelle Jerusalem, avec sa muraille, sa grande rue de verre, « et la ville n’a besoin ni du soleil ni de laune pour l’éclairer » et il n’y rentera rien de souillé, mais ceux là seuls qui sont inscrits dans le livre de l’agneau. »
Gilles Deleuze dans son introduction de « Apocalypse » de DH Laurence.

A Calais, aujourd’hui, ce ne sont pas des aides humanitaires qui sont envoyés, mais des policiers supplémentaires, pour s’assurer qu’une nouvelle Jungle ne s’y construise pas. Sur les côtes Libyennes, un jeu se tend entre les associations secouristes maritimes et les autorités frontalières.

C’est l’Apocalypse dont parle Deleuze.

ORIGINE

En Janvier 2012, pendant une grande vague de froid, le groupe 20 de l’École Régionale d’Acteurs de Cannes partait au quatre coins de l’Europe pour tenter d’en sonder l’identité, et y débusquer les utopies naissantes. De Riga à Athènes, d’Amsterdam à Stockholm, de Gdansk à Bucarest et à Hambourg, des binômes sont restés trois semaines en immersion et sont revenus avec un matériel délirant qui a constitué leur spectacle de sortie, Europia – Fable Géopoétique. Cinq ans plus tard, quelques mois après le Brexit ; que reste t il de ce travail ? De cet élan complexe et multiple. Il y a dans ce projet le désir d’ouvrir à nouveau les pages de ce livre, et d’en chercher une extension poétique, comme la queue d’une comète. Et de jouer avec l’Europe comme le ferait un fou Shakespearien. Fiévreusement. Par métaphores, épiphanies, images, convocations de nos peurs et de nos interrogations. L’Europe a peur. De nouveau. De l’intérieur. Grippé au ventre. La peur en Europe est une maladie infecte et contagieuse. “Nothing to fear but fear itself”, comme disait Roosevelt en 1933. On s’y répand avec une complaisance inouïe. C’est là, maintenant, mais ça a toujours été là. Épidémie de Peste. Invasions. Guerres civiles. Frontalières. Pestes brunes. Peur de quoi? Peur de perdre sa place. Peur de sombrer dans le chaos. Peur d’invasions religieuses ou économiques. Peur de ne plus jamais connaître le plein emploi. Peur de se retrouver à la rue. De perdre son identité. Sa cuisine. Sa religion. Son athéisme. Ses mœurs et coutumes. Et revient cette image d’un continent qui coule et d’être la dernière surface à avoir la tête hors de l’eau. Image de murs aussi comme celui qui se dresse entre les États-Unis et le Mexique, ou des kilomètres de barbelés à la frontière Hongroise. Cette grande aventure européenne, mystérieuse, profonde, multiple, génératrice d’autant de beauté que d’horreur, a t elle encore un avenir tant qu’elle n’en finit pas avec sa peur ? Et si la peur s’exprimait de manière plus exutoire que par des murs et des barbelés ? Si elle reprenait sa poétique en main? C’est là qu’intervient Stavros. Que se réveille enfin Stavros. Qui dormait profondément, comme à son habitude, qui hibernait, pour se remettre de son dernier traumatisme en date, et reprendre des forces pour jouter de nouveau avec la poétique et la confrontation.

Gérard Watkins