À CONDITION D’AVOIR UNE TABLE DANS UN JARDIN
Texte et Mise en scène de
GERARD WATKINS
Collaboration artistique de Lola Roy
Avec Gaël Baron, Julie Denisse, David Gouhier
Lumières de Anne Vaglio Scénographie de François Gauthier Lafaye Son de François Vatin Administration de production de Virginie Hammel et Anna Brugnacchi / le petit bureau
CRÉATION OCTOBRE 2025 – Comédie de Saint-ETIENNE
Production Perdita Ensemble, compagnie conventionnée par le ministère de la Culture – Coproductions (en cours) Comédie de Saint-Etienne (CDN)
« À condition d’avoir une table dans un jardin » est une comédie dramatique, onirique, et politique. Dans un pavillon de la grande ceinture francilienne, un couple de bourgeois reçoit un avis étrange. Pour faire honneur à leur premier « jardin », ils avaient acheté jadis une table en Iroko massif. Or dans les conditions générales de vente de la table était stipulé qu’au bout de dix ans, ils devraient accueillir un Pygmée pendant onze nuits et dix jours. Le terme venant à échéance, Darius Wengue, BaMbuti de la République Démocratique du Congo, débarque à Orgeval pour réclamer son dû. Il procède à une scrupuleuse ethnographie du couple.
ORIGINES
En 1991, je suis descendu du bus dans la petite ville de Pekan sur la côte malaise. Il y avait là un fleuve qui menait vers la jungle. J’avais l’intention d’aller rencontrer les Orang Asli (peuple originel). C’était un acte spontané. Je suis descendu du bus. J’ai demandé autour de moi qui pouvait bien m’y accompagner, et deux Malais se sont proposés. Ils n’étaient pas guide, étaient aussi curieux que moi, mais savaient où quand et comment les trouver. La barque a remonté le fleuve, nous avons marché dans la jungle, et j’ai pu rencontrer les Orang Asli. Je les ai accompagné à la cueillette du Rotin, à la chasse, et le soir nous avons passé une partie de la nuit à parler devant un grand feu. Ils me demandaient des nouvelles de l’Europe. Je leur ai répondu qu’une guerre s’y préparait (Guerre du Golfe 1). Ils ont ouvert grand les yeux et ils ont souri comme si c’était une bonne nouvelle. Ils étaient préoccupés de leur habitat. J’ai dormi dans un refuge de fortune et j’ai entendu les bruits de la jungle me travailler toute la nuit. Le lendemain nous sommes rentrés. Nous avons pris un autre chemin, plus rapide, et j’ai vu les scieries à l’œuvre. C’était comme s’il avait suffit d’une nuit pour effacer le mystère de la Jungle. La déforestation battait déjà son plein.
SUITES
Quelques années plus tard, j’ai vécu une très belle expérience avec Binôme, organisée par Thibault Rossigneux, et Le Sens des Mots. « Blind date » d’une heure avec un chercheur, sans aucune préparation, et de cette rencontre devait sortir une courte pièce. Mon binôme était Edmond Dounias. Edmond est chercheur en bio-ethnologie et passe une partie de son temps au cœur des jungles à tenter de comprendre l’influence du monde moderne sur des sociétés tribales et recluses. Comment, par exemple, l’arrivée d’un téléphone portable peut changer le repas communal en un repas pris chacun dans son coin. De cela est née la première version de A condition d’avoir une table dans un jardin. J’y avais usé de la méthode dite « d’inversion ». C’est une clé pour moi du théâtre, mettre la main dans un gant et le retourner. L’ethnologue y devenait alors le Pygmée, et Arnaud et Fabienne Parquet, les sujets, pollueurs, dépeceurs, conscients et inconscients d’une forêt lointaine. Nous, en quelques sortes. Dans cette courte version, la rencontre avec le Pygmée s’arrête au moment où il commence à parler. Ou plutôt là où la parole de Arnaud et Fabienne se libère enfin. Si j’entreprends de tirer le fil de ces personnages jusqu’au bout, c’est qu’ils ne m’ont jamais quitté, et qu’il me semble qu’ils nous hantent au quotidien. Ces personnages seront le reflet douloureux de notre impuissance et de nos compromis devant le réchauffement climatique et la déforestation. Du temps incroyable que cela met à l’occident de s’arracher de ses réflexes colonisateurs. Et de sa tendance à se regrouper de manière tribale dans un nationalisme qui se dissimule de moins en moins. Il s’agira, en somme d’une étude bio-ethonologique de nos comportements. En provoquant une rencontre improbable entre un Pygmée et un couple de bourgeois dans la grande ceinture francilienne. De tenter de comprendre par son prisme pourquoi la décolonisation tarde tant à s’inscrire dans les esprits. D’y étudier de manière anthropologique la France péri-urbaine, son enfermement, ses contradictions, ses retranchements, son aveuglement. De faire théâtre de cette rencontre. C’est à dire d’en transposer et sublimer la moindre seconde et d’en faire choc. De travailler, d’étirer, et rétrécir le temps dans la non-réalité de ces onze nuits et dix jours.
ETHNOGRAPHIE THEÂTRALE
Dans ce que j’écris il y a toujours une grammaire, une étude, un guide. Qui structure la forme. Ce spectacle de servira des avancées récentes sur ces termes désormais indissociable, le lien entre l’humain et son environnement naturel. Il y a aura une première étude du Pygmée, selon les écrits existants. Car c’est selon ce prisme que l’étude du couple occidentale pourra prendre forme. Sa propre vision de nous, chancelants, prêts a retourner dans nos plus sombres erreurs et travers. En considérant ce qui reste de naturel et ce qui ne l’est pas, ou plus, dans nos sociétés. Et en considérant bien sûr ce que l’occident a pu fabriquer et fabrique encore comme désastre, tout en affectant la posture du juste. Cette forme, cet angle d’approche, me paraît particulièrement adaptée à cette fable. Et nécessaire dans ce qu’elle aura à proposer comme reflet/miroir au public. Darius Dengue remontera le long fleuve des tendances anthropologiques, qui mènent jusqu’aux courants récents de Philippe Descola, pour l’étendre aux dernières avancées de Mohamed Amer Meziane, vers une anthropologie métaphysique. Cette ethnographie, nous l’avons mis en fiction, avec les acteur.ices en poussant par des interviews leurs biographies, et en les faisant ce rencontrer in situ, à Chalap, dans les Cévennes, dans un lieu qui proposait des multi-espaces de vies. Nous avons remonté le fleuve de cette histoire en passant par le déterminisme, le culturel, le structuralisme, les liens familiaux et le tabou, pour s’axer ensuite sur la mort et la religion. Nous l’avons fait en temps réel, c’est à dire en 10 jours et onze nuits. L’écriture du texte, à la Chartreuse en Avril 2024, est largement inspirée de cette expérience.
FUGUES
10 ans plus tard, j’ai décidé de libérer enfin la parole de Darius Wengue. J’ai entamé des recherches sur son pays d’origine. Le Congo. Le livre de David Van Reybrouck a été particulièrement fort et instructif, tissé de précieux témoignages. L’histoire du Congo est non seulement révélatrice de ce que les colonies ont pu inventer de pire en termes de destruction et d’abus, mais il y à la aussi une forme de terrain d’expérimentation, une tentative pour l’occident de s’égarer de sa démocratie. Ce voyage au « cœur des ténèbres » aux frontières hallucinantes de l’horreur, aux inventions ubuesques et absurdes, nous allons le faire avec Darius, qui remontera le fleuve jusqu’à la source de ses maux. Il le fera avec le regard des oubliés parmi les oubliés ; le peuple Pygmée. Les Pygmées, comme les Dayaks, comme les Penans, comme les Yanumani, sont des êtres marginalisés et menacés. Chasseurs cueilleurs que la déforestation pousse à s’exiler dans des zones urbaines pour trouver du travail. A vivre cette contradiction, participer à la destruction de leur habitat au nom de la modernisation, ou périr.
Ce qui m’intéresse, c’est comment quelqu’un de profondément blessé peut entreprendre une sorte d’ethnologie inversée. De lui céder la place d’observateur, de catalyseur, de sismographe de ce que nous sommes devenus aujourd’hui. C’est le début d’une rencontre à cœur ouvert. Il n’y a aucune valeur à cette ethnographie autre que humaine, poétique et théâtrale, bien sûr, car une ethnographie ne se contenterait pas d’un seul couple. Non, il s’agit bien d’aller au bout de la fable. Quelque chose dévoilée par les arachides et des arachnides à l’œuvre, pour débrider la parole, et l’emmener vers une poétique de l’intime et du déchirement. Il est grand temps pour eux, pour nous, de passer du déni à l’aveu, du sommeil à l’éveil, de déconstructions en réparations. Cela fait plusieurs décennies que le signal d’alarme a été tiré concernant le patrimoine de la forêt primaire qui disparaît, allant de peu à peu, à de plus en plus vite, en à peine quelques années. Patrimoine végétal, animal et humain sacrifié dans l’indifférence totale. Et pendant ce temps, nous nous prélassons sur l’esplanade en bois de la Bibliothèque Mitterrand qui vaut des hectares de forêt à elle toute seule, et notre objet de réconciliation avec l’extérieur, pour ceux qui ont un jardin, est une table en Teck. Il y a un lien évident entre la colonisation et le désastre écologique et politique vers lequel nous rampons. Il y un lien évident entre notre silence et la guerre qui se mène à l4est de la RDC, dont les enjeux miniers servent à la fabrication de nos portables. Ce texte cherche à explorer ces liens de manière libre et humaine par des tissages dramaturgiques.
GERARD WATKINS
GERARD WATKINS pour le Perdita Ensemble