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APOCALYPSE SELON STAVROS

Texte et mise en scène de Gérard Watkins

Avec Maxime Léveque
Lumières de Julie Bardin
Administration de production Silvia Mammano
11 au 30 Septembre 2017 20h
Théâtre de l’Épée de Bois – Paris
7 au 11 Mars 2018 – Théâtre Le Colombier – Bagnolet
Production – Perdita Ensemble.
Le Perdita Ensemble est conventionné par la DRAC Ile-de-France – Ministère de la Culture et de la Communication – Avec le soutien de RAVIV dans le cadre de partage d‘espaces de répétition. En Coréalisation avec le théâtre de l’Épée de Bois et le théâtre Le Colombier – Bagnolet.

Contact
Le petit bureau / Virginie Hammel & Claire Guièze
Virginie Hammel : 06 13 66 21 33 / virginiehammel@me.com
Claire Guieze 06 82 34 60 90 / claire.guieze@orange.fr

Le monde est un et commun, mais lorsqu’il sombre dans le sommeil,
ils se tournent chacun vers le sien propre.

Héraclite

Apocalypse selon Stavros est né d’une intuition. De partir avec Maxime Lévèque sur les traces de l’Apocalypse de Jean de Patmos, et de l’essai critique posthume de DH Lawrence, pour interroger ce que cette œuvre révèle sur une partie du monde occidental appelée Europe. 12 jours d’immersions et d’improvisations en totale liberté pour chercher à l’endroit même ou le poème sanglant et terrifiant fut créé, son antidote, pour débarrasser l’homme de l’idée de la fin, de la sélection, de la punition et du jugement. Car Stavros voit, comme le décrit Deleuze dans son introduction du livre de Lawrence, que l’apocalypse n’est ni joué par Donald Trump dans le rôle de l’Antéchrist, ni inscrit dans le désastre écologique de la planète qui mène à la fin du règne humain, mais bien dans l’organisation du monde telle qu’elle existe déjà, avec ses frontières, ses iniquités, ses armées, son système éducatif, ses chars Titus, ses dettes, ses plans d’austérités, ses médias. De son effroi, Stavros assistera à son apocalypse, c’est à dire à sa révélation, renouveau de son être, et de ses possibles relations avec l’autre. Stavros a un objectif. Interroger l’Apocalypse. Qui définit la pensée Européenne depuis des siècles. User de la même force visionnaire pour exposer ce qu’elle est, et non ce qu’elle raconte sur le désir de certains de s’en sortir quand d’autres périssent. De démanteler par une poétique le projet économique, sociétal et culturel, là, ou Lawrence tentait de démanteler le christianisme. Il y à la extension du domaine de la lutte envers les manipulations de la peur, ses outils, sa fabrique mondiale. Stavros, en un contre-poème épique, va jouer sans cesse avec le contenant et le contenu

L’apocalypse, c’est l’homme qui fini par sortir dans le jardin pour choisir la branche avec laquelle il va se flageller.
L’Apocalypse, c’est le mur.
L’apocalypse, c’est ce qui fiche et fige les êtres.
L’art de l’apocalypse n’est pas l’art de la prophétie effrayante.
L’art de l’apocalypse est l’art d’en révéler la présence dans le geste enfermant du jeu de la société moderne avec la peur.
L’art de l’apocalypse consiste à faire comprendre que nous sommes en plein dedans.
L’art de l’apocalypse est le jeu des images qui libère de la peur.

Apocalypse selon Stavros est tout sauf un essai religieux. La seule religion que l’on y trouve est dans l’idée que la poétique et sa plus sincère expression sont une religion en soi. Il s’agit d’un essai sur l’homme et sa manière de voir, ses visions, ses interprétations, sa difficulté à se débarrasser des fictions imposées, ses peurs, ses angoisses, et ses manières de les vaincre ou d’y succomber. D’un essai sur l’artiste et ses contradictions. Ses tentatives et ses difficultés à se faire comprendre. Sur le monde tel qu’il a été verrouillé, dans ses structures, son urbanisme, ses institutions, ses lois.
Dans notre méthode de travail, nous avons pris soin d’absorber le plus possible le travail de pensée, de recherches, de lectures avant de se lancer dans la fabrique du poème. Car le poème doit évidemment le contenir organiquement et ne pas l’expliquer. Il ne s’agit pas d’un pensum mais d’une fabrication fictive et poétique libre. Il conviendra au spectateur d’avoir le plaisir ou non d’y déceler ce qu’il exprime politiquement sur le monde. D’en déceler la force de vie et la qualité de ses contradictions. Nous avons cartographié différents espaces sur l’Ile de Patmos. Collines, clairières, monastères, baies, friches, pour construire, en improvisant, les bases du récit, et la structure affective et imaginaire de Stavros. Ce travail sur le vertige et la mise en abîme a été filmé, et ensuite écrit.
Écrire une performance, c’est inscrire, dans la dramaturgie du récit, la pertinence de cette forme, participation du publique, expérience partagée, usage du temps, du silence, de la recherche, du fragile, de la rupture narrative et temporelle. C’est donner une identité profonde au performeur, et déjouer la construction habituellement linéaire d’un monologue, par une construction rythmique, musicale, et un jeu constant entre l’illusion et la réalité.

« L’apocalypse, ce n’est pas le camp de concentration, (Antéchrist), c’est la grande sécurité militaire, policière, et civile de l’état nouveau (Jérusalem Céleste). La modernité de l’apocalypse n’est pas dans les catastrophes annoncées, mais dans l’auto-glorification programmée, l’institution de gloire de la Nouvelle Jerusalem, l’instauration démente d’un pouvoir ultime, judiciaire, et moral. Terreur architecturale de la Nouvelle Jerusalem, avec sa muraille, sa grande rue de verre, « et la ville n’a besoin ni du soleil ni de laune pour l’éclairer » et il n’y rentera rien de souillé, mais ceux là seuls qui sont inscrits dans le livre de l’agneau. »
Gilles Deleuze dans son introduction de « Apocalypse » de DH Laurence.

A Calais, aujourd’hui, ce ne sont pas des aides humanitaires qui sont envoyés, mais des policiers supplémentaires, pour s’assurer qu’une nouvelle Jungle ne s’y construise pas. Sur les côtes Libyennes, un jeu se tend entre les associations secouristes maritimes et les autorités frontalières.

C’est l’Apocalypse dont parle Deleuze.

ORIGINE

En Janvier 2012, pendant une grande vague de froid, le groupe 20 de l’École Régionale d’Acteurs de Cannes partait au quatre coins de l’Europe pour tenter d’en sonder l’identité, et y débusquer les utopies naissantes. De Riga à Athènes, d’Amsterdam à Stockholm, de Gdansk à Bucarest et à Hambourg, des binômes sont restés trois semaines en immersion et sont revenus avec un matériel délirant qui a constitué leur spectacle de sortie, Europia – Fable Géopoétique. Cinq ans plus tard, quelques mois après le Brexit ; que reste t il de ce travail ? De cet élan complexe et multiple. Il y a dans ce projet le désir d’ouvrir à nouveau les pages de ce livre, et d’en chercher une extension poétique, comme la queue d’une comète. Et de jouer avec l’Europe comme le ferait un fou Shakespearien. Fiévreusement. Par métaphores, épiphanies, images, convocations de nos peurs et de nos interrogations. L’Europe a peur. De nouveau. De l’intérieur. Grippé au ventre. La peur en Europe est une maladie infecte et contagieuse. “Nothing to fear but fear itself”, comme disait Roosevelt en 1933. On s’y répand avec une complaisance inouïe. C’est là, maintenant, mais ça a toujours été là. Épidémie de Peste. Invasions. Guerres civiles. Frontalières. Pestes brunes. Peur de quoi? Peur de perdre sa place. Peur de sombrer dans le chaos. Peur d’invasions religieuses ou économiques. Peur de ne plus jamais connaître le plein emploi. Peur de se retrouver à la rue. De perdre son identité. Sa cuisine. Sa religion. Son athéisme. Ses mœurs et coutumes. Et revient cette image d’un continent qui coule et d’être la dernière surface à avoir la tête hors de l’eau. Image de murs aussi comme celui qui se dresse entre les États-Unis et le Mexique, ou des kilomètres de barbelés à la frontière Hongroise. Cette grande aventure européenne, mystérieuse, profonde, multiple, génératrice d’autant de beauté que d’horreur, a t elle encore un avenir tant qu’elle n’en finit pas avec sa peur ? Et si la peur s’exprimait de manière plus exutoire que par des murs et des barbelés ? Si elle reprenait sa poétique en main? C’est là qu’intervient Stavros. Que se réveille enfin Stavros. Qui dormait profondément, comme à son habitude, qui hibernait, pour se remettre de son dernier traumatisme en date, et reprendre des forces pour jouter de nouveau avec la poétique et la confrontation.

Gérard Watkins

SCENES DE VIOLENCES CONJUGALES

LE PERDITA ENSEMBLE PRÉSENTE
SCÈNES DE VIOLENCES CONJUGALES

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Écriture mise en scène et scénographie de
GÉRARD WATKINS
Lumières de ANNE VAGLIO
Régie Général et construction FRANK LEZERVANT
Administration de Production
SILVIA MAMMANO
Diffusion ELENA MAZZARINO

avec
HAYET DARWICH, JULIE DENISSE,
DAVID GOUHIER, MAXIME LÉVÊQUE, YUKO OSHIMA

19 Mai 2016 à 20 heures au Palais des Fêtes – 48 Avenue Paul Vaillant Couturier – Romainville
21 Mai 2016 à 20 Heures au Gymnase Colette Besson – 76 Avenue de Verdun – Romainville
6 – 8 Juin 2016 20 heures – 7 Juin à 19 heures au Théâtre le Colombier – Bagnolet
11 Novembre au 11 Décembre 2016 au Théâtre de la Tempête – Paris
7 au 11 Février 2017 au Théâtre Nationale de Bordeaux en Aquitaine
10 Mars 2017 Espace 1789 St Ouen
Disponible en tournée / Janvier à Juin et Septembre à Décembre 2017.

production déléguée Perdita Ensemble | avec le soutien du Fonds SACD – La culture avec la copie privée, du Fonds d’Insertion pour Jeunes Artistes Dramatiques – DRAC et Région Provence Alpes Côte d’Azur, d’Arcadi Ile-de-France | avec le soutien en résidence de création de la Ville de Romainville l’aide à la creation du Centre National du Théâtre
Le Perdita Ensemble est conventionné par la DRAC Ile-de-France – Ministère de la Culture et de la Communication –
Remerciements à Yann Richard, au Théâtre Le Colombier – Bagnolet, et à Pierre Heyligen, Lumière et Son Paris
Gérard Watkins / gerard.watkins@free.fr / 0661755488
Silvia Mammano / selectronlibre@hotmail.com / 0617294253
ORIGINES

Liam fuit une adolescence tourmentée en province pour s’installer en région Parisienne, et y rencontre Rachida, qui cherche à échapper au carcan rigide de son milieu familial. Annie cherche du travail, dans l’espoir de se reconstituer et de retrouver ses filles, gardées par ses parents. Elle rencontre Pascal, un photographe d’un milieu aisé qui court d’échec en échec. Les deux couples vont s’installer dans un meublé. Petit à petit, la violence conjugale va s’installer entre eux, jusqu’au paroxysme. Les femmes décident d’y mettre fin, et tentent, non sans difficultés, d’échapper à la violence quotidienne qu’elles subissent.

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Scènes de Violences Conjugales est né du désir de travailler sur un sujet qui me heurte, la violence des hommes faite aux femmes. En la cernant dans le contexte de la violence conjugale, telle qu’elle sévit aujourd’hui en France. Une pratique héritée du droit du plus fort qui perdure au moment ou la femme revendique sa juste place, équitable, au sein d’une société ou la domination masculine est toujours prégnante. En partageant l’écriture et la recherce avec les acteurs pour plonger au cœur du sujet, dans sa combustion, cherchant par tous les moyens du théâtre à la décrire, l’osculter, et la comprendre. Les chiffres parlent d’eux mêmes, et sont consternants : une femme meurt tous les trois jours suite aux coups portés par un homme. On a parfois l’impression que se mène au sein du couple une guerre secrète. Pourtant, si la prévention et les dispositifs se multiplient, et sont un secours essentiel aux femmes en détresse, rien ne semble enrayer cette violence.

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La violence conjugale contient en elle une métaphore des différents mouvements de la violence contemporaine, autant dans son contexte psychologique, social, affectif, que dans son expression du droit du plus fort. Aux USA on parle déjà de « terrorisme intime ». Exprimer ce ressenti avec profondeur, complexité, et avant tout humanité va me demander en tant que créateur le geste d’aller vers l’autre. Dans ce cas, il ne va pas juste s’agir de mes collaborateurs. Il va s’agir du tissu social dans lequel nous vivons. Des êtres qui se débattent là-dedans. Et ce travail, je me propose de le faire sur une gestation naturellement symbolique de 9 mois. Nous commencerons le 20 août 2014 et la première aura lieu le 20 mai 2015.

Cherchant à plonger le spectateur dans un dispositif qui soit au plus proche des êtres, la création aura lieu dans deux lieux différents et cherchera ainsi à rencontre de nouveaux publics. Le Palais des Fêtes et le Gymnase Colette Besson à Romainville, le Colombier à Bagnolet, et s’installera ensuite pour une véritable série au théâtre de la Tempête en Hiver 2016.

S’inspirant d’une recherche auprès de la société civile et public, ainsi que des dispositifs mis en place pour tenter d’enrayer la violence conjugale qui, en France, sévit sans relâche, le Perdita Ensemble s’attaque cette année à ce fléau dont les seuls améliorations sont précisément que cette violence sort de l’ombre, est enfin dénoncé au grand jour, et qu’un véritable dispositif a été mis en place pour protéger et accompagner les victimes pour se libérer par un « plus jamais ça ». Mais pourtant cette violence perdure. Avec la même intensité que la pire des violences à travers le monde, ruinant la vie d’êtres, et exerçant un droit du plus fort tout droit sorti d’un autre âge. Et les associations peinent, fautent de véritables moyens, à proposer des solutions viables pour ces femmes en détresses.

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RÉCONCILIER L’ÉCRITURE DE PLATEAU ET L’ÉCRITURE DRAMATURGIQUE

A partir d’improvisations, d’un travail à la fois intérieur et physique, réaliste et musical, mélangeant les genres narratifs et les scènes vécues en directe, cherchant un abécédaire non stéréotypée, en creusant des personnages dont les spectateurs puissent se sentir proche, pour trouver, avec les acteurs, un théâtre résolument humain, j’écrirais tout au long du processus, car il s’agira bien au final d’une écriture dramatique et non d’une retranscription d’improvisations. Il s’agit d’avancer avec les acteurs et de confronter nos recherches avec la réalité. En multipliant les points de vues de la société civile, pour que cette écriture soit active, en mouvement, comme un travail qui opère sur les êtres- acteurs – spectateurs- intervenants, qu’il va côtoyer tout au long du processus.

Il est compliqué de rendre compte de cette alchimie, qui se veut à la fois instinctive et méthodique, qui désire à la fois chercher le personnage dans le dernier de ses retranchements, et de le faire correspondre à une réalité puisée dans des recherches. Mais le but de cette recherche, c’est que le mouvement du spectacle, sa dramaturgie, sa démarche, son geste soit tendue vers un bouleversement de nos conceptions sur ce que peut être la violence conjugale, une volonté de rendre la violence du monde altérable, en déjouant les règles qui mènent au pouvoir et à la soumission. Pour cela, il a fallu partir de l’être, non pas dans sa biographie fictive, mais par sa description intérieur, flux de pensées, rêveries, souvenirs, textures. Et de là, mener l’acteur à mener et construire son personnage fictif de l’intérieur, comme une mise au monde Brechtienne, muée par le désir de transmettre ce qui est tu. D’imaginer ensemble qui ils sont, comment ils se sont rencontrés, comment ils se sont aimés, et de suivre au scalpel et au laser les moindres signes de violence et de domination, de manipulation et de d’incursion identitaire, afin de nous les rendre a la fois familières et décelables. Et de là, comme le faisait jadis Henrik Ibsen, prendre le personnage par le collet et de ne pas le lâcher jusqu’à ce qu’il ait accomplit sa destinée. La deuxième partie du travail est de constamment confronter cette écriture avec les acteurs de la société civile et publique, dont c’est le métier et la raison dêtre d’enrayer cette violence. Docteurs, victimologues, centres d’accueils, psychiatres, procureurs, chercheurs. Et d’écouter leurs souhaits, très divergents, sur les enjeux du spectacle, sur les contradictions de l’exercice de leur métiers.

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LES TRANSVERSALITÉS CIVIQUES

Il y a dans mes préoccupations du moment un désir de transversalité avec ce qui s’appelle le combat du réel. On pourrait dire qu’il existe sommairement deux mondes, un qui accepte la réalité telle qu’elle est définie, et un autre qui la combat, en dehors de tout clivage politique. Ce qui m’a touché chez mes interlocuteurs lors de mes recherches, c’est la multiplicité et la ferveur de ces combats. Corps médical, corps judiciaire, centres d’accueils, enseignantes, psychiatres, assistantes sociales, aides soignantes, toutes sont concernées par les violences conjugales. Elles essaient par tous les moyens de sauver celles enfermées malgré elles dans cette forme de terreur, dans cette cage.
Il y a aussi un désir évident, et qui a toujours impulsé mon travail, de m’emparer de sujets d’actualités et de trouver de nouvelles formes pour les interroger. Là où certains vont chercher la transversalité dans les arts du cirque ou la danse, je vais la chercher dans les corps de métier du tissu social, mais aussi chez les chercheurs, psychiatres, psychanalystes, philosophes, sociologues.

« I l n e f a u t p a s q u e l a f e m m e m e u r e »

RENCONTRE ENTRE L ECRITURE ET LES MEMBRES ACTIFS DE LA SOCIETE CIVILE ET PUBLIQUE EN LUTTE POUR ENRAYER LA VIOLENCE

LA JUSTICE – Françoise Guyot, vice-procureure

J’avais assisté en 1995 à un certain nombre de procès, en vue de la préparation de l’écriture de La Tour : sans-papiers, demandeurs d’asiles, mais aussi grand banditisme, terrorisme. Conscient que l’aspect légal des violences conjugales pose les limites de ce qui est considéré comme tel, et donc comme illégal, et punissable par la loi, j’ai pu rencontrer Françoise Guyot, vice-procureure, chargée de mission auprès du Procureur de la République pour les affaires de violences conjugales. Cette « combattante » nous a gracieusement offert une journée de son précieux temps, et a accepté de répondre à nos questions. Quand nous nous prépare un dossier d’accusation pour les violences que nous avons décidé d’écrire. Que les rapports du fictif existent dans un rapport au réel. Que la Justice française ait un regard sur notre travail. Et applique une peine au perpétrateur (fictive bien évidemment).

LA MEDECINE –

Docteur Lazimi

Le Docteur Lazimi est médecin généraliste au centre de santé de Romainville en Seine-Saint-Denis, maître de conférences à l’Université Pierre et Marie Curie et membre du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Il est l’un des précurseurs de la prévention des violences conjugales, dans la détection lors de consultations médicales. Nos multiples rencontres avec lui ont enrichi le travail que nous faisons sur la deuxième partie. Nous comprenons grâce à lui que le travail « d’affranchissement » de la femme peut être très long, et laborieux, que c’est un travail de patience.

Azucena Chavez
Psychologue specialisée dans l’accompagnement des victimes de violences

Recevant également à la centre de soin de Romainville, et dans d’autres lieux du 93, Azucena à inscrit sur son bureau « Victimologue ». Pour ne pas dissuader les femmes par le terme de psychologue, et nommer tout de suite un terme auquel elles puissent s’identifier. En parlant avec elle, je comprends enfin la métaphore du miroir, et de la double peine. L’auteur des violences est une coquille vide qui ne peu pas se voir dans le miroir. La victime a été réduite à un état proche du néant, et ne peut plus s’y reconnaître ou s’y regarder non plus. Pour elle ; la deuxième partie devrait être à la fois en suspens, car rien n’est jamais résolu, et tragique. Elle me parle aussi de désir de mort, de suicide, car les chiffres omettent évidemment cet aspect des femmes qui meurent tous les jours en France. Azucena est extraordinairement pédagogique et limpide dans sa manière de m’expliquer la base de son travail avec les patientes.

L’OBSERVATOIRE DES VIOLENCES ENVERS LES FEMMES DU 93

Dans une salle d’attente au 13e étage d’une tour à Bobigny. J’attends, et je suis nerveux. J’ai rendez-vous avec Ernestine Ronai et Carole Barbelane Biais. J’ai attendu un an pour obtenir ce rendez-vous. L’Observatoire de la Violence Envers les Femmes du 93 est une toute petite équipe menant un très grand combat. Leur temps est précieux. Créé en 2002, c’est un dispositif unique en Seine-Saint-Denis. Laboratoire expérimental, l’Observatoire n’a de cesse d’inventer des formes d’actions concrètes, ainsi que d’informer et réfléchir via de nombreux ateliers et colloques. Le téléphone d’urgence pour les femmes en grand danger, l’ordonnance de protection des mineurs, « Un Toit pour Elle » (des appartements pour les femmes victimes de violences et quittant leur domicile), les Bons de Taxis pour accompagner les femmes du commissariat à une unité médico-judiciaire, les consultations psycho-traumatologiques. Bref, des actes concrets, efficaces, et sans concessions.
Dans le bureau rempli de dossiers, après la validation d’une campagne d’affichage, Ernestine et Carole me reçoivent. Nous entrons très rapidement dans le vif du sujet. Elles veulent connaître le contenu de mon projet. Pas la faisabilité, pas le avec qui ni comment, le contenu. Je m’engage directement dans le récit de ce que j’envisage. Je suis prêt. J’ai bien planché sur le sujet, j’ai fait de longues recherches, je suis sûr de mes motivations, de mon scénario. Je prends du plaisir parce que je sens qu’en face la méfiance tombe vite. Et j’en arrive au moment (au départ il devait y avoir trois couples) où une des femmes se fait tuer. Pour moi, ça me paraissait évident parce qu’une femme meurt tous les 3 jours suite aux coups et blessures subie lors de violences domestiques. Ce sont d’ailleurs les seules statistiques tristement célèbres. Je vois qu’elles se crispent à ce moment-là. Elles me laissent continuer. Je finis le récit. Un silence s’ensuit. Ernestine me regarde droit dans les yeux et me dit simplement et fermement « Il ne Faut Pas que la Femme Meure ». Elle dit qu’elle comprend les règles de la tragédie, de l’impact de cette mort, de la nécessité de rendre compte du fléau, elle comprend tout ça, mais elle répète « Il ne Faut Pas que la Femme Meure ». Je souris intérieurement car ceux qui me connaissent savent que je suis parfois têtu dans mes démarches et que je n’ai absolument pas l’habitude qu’on intervienne sur le contenu de mes projets, aussi fous soient-ils. Je raconte que j’en ai aussi besoin pour faire jouer d’autres partitions à l’actrice dans la deuxième partie, et que j’aime bien les fantômes au théâtre. Cette approche les fait rire. Mais elle répète encore « Il ne Faut Pas que la Femme Meure ».
Je souris, j’écoute et j’entends son argumentation. Ernestine développe sa pensée. Une femme doit penser qu’elle ne doit pas mourir. Qu’elle ne doit pas être battue. Qu’elle n’a aucun ordre à recevoir, de personne. Qu’elle peut s’en sortir en ouvrant une porte. En prenant la parole. Donc la Femme ne Doit Pas Mourir. Elle ne doit pas répondre aux règles de la tragédie.
La simplicité et la radicalité de cette pensée m’ont bien plu. Je n’ai pas l’intention de faire un spectacle de propagande, un spectacle social comme on en voit parfois où tout le monde est d’accord, et finalement embarrassé de l’être. J’ai envie d’entrer profondément dans cette matière et de la laisser raconter sans fard ce qu’elle a à raconter. L’idée que le contenu peut altérer notre regard, que l’idée du drame doit être remise en question pour que le monde avance et devienne meilleur, m’a en fait énormément plu. L’idée que nous sommes responsables de par nos gestes artistiques, que nous avançons sur une poudrière, que nous nous devons d’affronter de face, et sans lâcheté, la nature profonde des troubles que nous vivons, et que l’œuvre doit subtilement donner des clefs pour que les gens s’en sortent, est une idée qui m’a toujours plu. Elle m’avait déjà marqué chez Brecht évidemment, dans son brillant texte « La Marche vers le Théâtre Contemporain », qui donnait une version bien différente des clichés habituels associés à la « distanciation » brechtienne.
En fait il s’agit d’une forme d’honnêteté, simple à comprendre. Je n’ai rien promis à Ernestine. Enfin si. J’ai promis de réfléchir. Mais c’était un peu formel, comme promesse. Je n’ai pas fait mourir la femme. Enfin, j’ai fait mourir le troisième couple, en les supprimant de la fable, mais ça ne concerne que moi, finalement. L’idée de la mort y restera forcément, et cette discussion a fait germer en moi une autre idée qui me plait bien : on n’a pas besoin de cadavre pour faire un fantôme.

LA SIDÉRATION – Muriel Salmona

« Il s’agit de mécanismes psychologiques et neurobiologiques exceptionnels de sauvegarde qui se mettent en place lors du traumatisme. Ces mécanismes psycho-traumatiques sont mis en place par le cerveau pour échapper à un risque vital intrinsèque cardiovasculaire et neurologique induit par une réponse émotionnelle dépassée et non contrôlée. Cela se produit quand la situation stressante ne va pas pouvoir être intégrée corticalement, on parle alors d’une effraction psychique responsable d’une sidération psychique. Le non-sens de la violence, son caractère impensable sont responsables de cette effraction psychique, ce non-sens envahit alors totalement l’espace psychique et bloque toutes les représentations mentales. La vie psychique s’arrête, le discours intérieur qui analyse en permanence tout ce qu’une personne est en train de vivre est interrompu, il n’y a plus d’accès à la parole et à la pensée, c’est le vide… Il n’y a plus qu’un état de stress extrême qui ne pourra pas être calmé, ni modulé par des représentations mentales qui sont en panne.
Le stress extrême entraîne un risque vital pour l’organisme, et comme dans un circuit électrique en survoltage, le cortex va faire disjoncter le circuit émotionnel par l’intermédiaire de mécanismes neurobiologiques de sauvegarde exceptionnels qui vont être responsables d’une déconnexion du circuit de réponse au stress, qui s’apparente donc à un court-circuit pour protéger les organes comme le cerveau, le cœur et les vaisseaux. Cette disjonction entraîne une mémoire traumatique et une dissociation avec anesthésie psychique et physique.
La disjonction du circuit émotionnel pour échapper au risque vital créé par le survoltage émotionnel ne se déclenche que si les représentations mentales face à la violence sont en échec et sont dans l’incapacité de moduler ou d’éteindre la réponse émotionnelle et d’empêcher ainsi un survoltage émotionnel.»

Pour moi, c’est l’étude la plus fascinante. Elle pourrait constituer un spectacle en soi ; c’est le phénomène qui suscite le plus le mystère de la représentation théâtrale, avec ses êtres fantômes égarés dans un espace, terrés dans un coin, cherchant à se faire oublier ou à surgir, cette réalité qui dort et qui est tue. Celle qui peut nous remettre instantanément en danger en nous procurant ce sentiment de manque, de retour à la famille, celle qui en réalité nous fait endurer, mémoire figée, immobile, dormante, diffusée, nécrosée, attendant de se réveiller ou de se transformer, ou de grandir.
Que l’instinct de survie propose pareil phénomène en dit long sur la complexité de la fabrique humaine. De ses mécanismes. Que sait-on alors de ce qui nous est arrivé ? Que sait-on de l’histoire, si l’histoire personnelle peut ainsi être floutée ? L’histoire nous a-t-elle sidéré, pour que nous le reproduisions avec autant d’entrain ?

RÉSIDENCE DU PERDITA ENSEMBLE À ROMAINVILLE

La résidence au Palais des Fêtes de Romainville va ancrer le travail de création autour des violences conjugales au plus proche de ses habitants. En travaillant sur la durée, de fin août 2015 jusqu’à la création le 20 mai 2016, les acteurs, musiciens, collaborateurs de la compagnie auront à cœur d’aller au devant des habitants, de les interviewer, de susciter en eux des éléments de réflexion et d’expression, pour qu’un travail en profondeur de sens et de pensée puisse se développer entre eux et la création. Cette présence de la compagnie tout au long de l’année permettra aussi de travailler pour que le public local soit présent aux représentations, autre enjeu de cette résidence.
Il n’est rien de plus délicat et de plus urgent qu’un projet dit de « sensibilisation ». Cela veut dire, évidemment, et avant tout, mettre une lumière de vérité sur un danger qui chaque année fait des ravages. Mais cela veut dire aussi trouver par la poétique ce qui n’est parfois pas explicable autrement. J’ai toujours pensé qu’il était du devoir des artistes et des poètes dramatiques de s’emparer de sujets brûlants. Parce que justement une œuvre d’art peut se permettre de ne pas rester en surface. D’accéder précisément au sensible. Avec cette croyance que par ce biais-là, le monde est altérable.
Au-delà des résonances du sujet de cette création, de ses extensions – les rapports de force, l’injustice, la violence, l’enfermement, la guerre des sexes –, les violences conjugales concernent tout le monde, de la sphère la plus intime à la sphère la plus publique. Chacun connaît quelqu’un ayant vécu, ou a lui-même vécu ces violences. Chacun sait maintenant que ce fléau est encore présent partout, et continue de défrayer la chronique. Ce spectacle aura à cœur de donner des éléments de résistance, en démontant un à un tous les schémas de langue et de corps qu’un individu utilise pour asseoir son pouvoir sur l’autre. Car il s’agit bien d’un pouvoir basé sur l’utilisation de la violence. Le spectacle suivra donc deux processus, l’un d’assujettissement et d’anéantissement, et l’autre de démantèlement et d’émancipation.
Il me semble que cette démarche a besoin d’être suivie, expliquée, défendue, accompagnée, dans une démarche d’enrichissement mutuel. Les rencontres avec les habitants auront plusieurs formes. Celles, classiques, d’ateliers, d’échanges et de transmissions. D’autres, plus informelles, en allant à la rencontre, par les commerces, les cafés, le marché, la rue. En allant au devant, simplement, humainement, tranquillement, en plusieurs temps, en invitant à suivre le travail. En posant des questions. En tissant des liens. En éveillant la curiosité. En se montrant curieux.

LA BATTEUSE / YUKO OSHIMA

La batterie s’est imposée comme une évidence. Mais j’avais des réticences à l’idée d’un homme à cette batterie. J’avais envie non pas d’entendre les coups portés, mais les coups reçus. Et sentir la tension de la peur monter dans le ventre plutôt que celle d’une envie de donner des coups (même si je pense que j’explorerai l’un comme l’autre).
Depuis une vingtaine d’année nous assistons à une éclosion, dans le jazz autant que dans le rock, de musiciennes qui s’imposent dans un milieu qui a été longtemps réservé aux hommes (à l’exception de la voix). La batterie est vraiment un instrument où le cliché fait qu’on y imagine un homme. Ça a commencé par le rock, puis deux batteuse de soul ont explosé ce cliché à la fin ses années 80. Sheila E. avec Prince, et Cyndy Blackman, qui a accompagné Lenny Kravitz tout au long des années 90. Ce n’est qu’à partir des années 2000 que les batteuses sont vraiment entrées dans le milieu du jazz. C’est aussi pour célébrer ce décloisonnement que je travaillerai avec une batteuse de Jazz.
Outre l’évidence de la nécessité percussive, pour les quelques scènes de violences, et les possibilités chorégraphiques ainsi ouvertes, ce qui m’intéresse dans la batterie de jazz, c’est sa lame de fond. Un reflet de la vie sous forme de shuffle incessant, un ressac, une idée du temps qui ne s’arrête jamais, à la fois présent et en suspens. Il y a là une idée de la chute aussi, de la fin d’une course effrénée. D’une respiration haletante qui a du mal à se stabiliser. C’est une musique et un rythme qui se travaillent du genou, et qui travaillent derrière le genou en même temps, un peu comme si ils fauchaient les jambes. C’est une musique qui s’écrit. Elle a ses propres codes d’écriture. De construction. D’empilement. Le visionnage de Birdman, dont la musique est entièrement signée par l’incroyable Antonio Sanchez, dont on dit que le pied gauche a son propre cerveau, m’a confirmé ce choix. Parce que, comme l’a habilement exploité Alejandro González Iñárritu, le combat rythmique peut évoquer le rapport au temps, à la construction et et à la déconstruction de la vie moderne, au monde extérieur et intérieur. Ce passage sans cesse d’une subjectivité à une autre est un processus qui m’a toujours intéressé avec la musique. Elle accompagne en fait mon écriture, qui suit, avec par la dramaturgie et le texte, le même parcours.

LE CONTE TERRIBLE

Lors du stage des Chantiers Nomades, un article était sorti dans Libération sur le parcours particulièrement atroce d’une Maghrébine qui avait été « achetée » au Maroc par un veuf vivant dans un village des Midi-Pyrénées. Il l’avait ramené illégalement en France, la battait, abusait d’elle sexuellement, la menaçait de l’expulser, ne lui donnait pas d’argent. Son parcours m’avait terrifié. Mais d’une terreur enfantine, comme si cette histoire m’avait été racontée enfant, et qu’elle avait alimenté en moi une terreur insupportable. Comme quand on cauchemarde, qu’on a envie de crier mais qu’aucun son ne sort. On a envie de courir mais on est pétrifié. Cette immobilité et cette incapacité de se défendre, dans le sommeil, fait pleurer. Mais on se dit, tout en pleurant dans le rêve, qu’on doit certainement pleurer en vrai. Ce sont des histoires d’enfermement terribles. De trappes. De séquestration sans clef. Je chercherai par moments dans l’écriture à traduire cette émotion, du cri qui reste coincé dans la gorge. C’est pour cette raison, je pense, que l’idée de la battue en forêt, de la traque à la bête, m’est apparue comme une idée si probante. Elle aura lieu dans la réalité du quotidien. Cette respiration qui parvient de derrière l’arbre. De l’être terrifié planqué derrière l’arbre. Présente dans le salon, présente sur la moquette, présente dans le geste qui semble la caresser mais qui l’étrangle, ou prépare la gifle.
Notre société suscite terreur et effroi. Provoque terreur et effroi. Il y aura dans ce théâtre la volonté d’affronter la nature de cet effroi, de le presser, d’en proposer une catharsis par des êtres, par du vécu, par des personnages, par du réel confronté à de l’imaginaire. De rattraper la sensation du cauchemar éveillé par le réel. Mais aussi de par la seconde partie, de le rendre transformable. Comme le suggérait Brecht dans sa « Marche vers le Théâtre Contemporain ». Car il y a, dans ce monde, ceux qui laissent aller, se laissent aller, et ceux qui affrontent. Ceux qui abandonnent et ceux qui bravent.

POINT DE SALUT SANS LE SALUT DE L’HOMME

Toutes les associations de prévention, d’écoute et de protection s’accordent à le dire. C’est une chose de sauver la femme, de l’extraire de cet enfer, de l’aider à se reconstituer, c’en est une autre de changer le comportement masculin. Et pourtant si il doit y avoir un changement, c’est bien en l’homme. Il y a un mot qui existe dans ce dossier qui n’existe pas dans le dictionnaire français. Je le regrette, alors je l’utilise. Parce qu’il est précis et veut dire ce qu’il veut dire. Claude Régy s’en était servi dans son adaptation de 4.48 Psychose et de Manque, de Sarah Kane. Il n’en avait pas trouvé d’autre lui non plus. C’est perpétrateur. Littéralement « celui qui l’a fait ». C’est un mot objectif, qui regarde sans jugement. autre terme intéressant revient souvent dans les forums et les débats. C’est le colon. Pour décrire le caractère invasif de l’homme, le terme de colonie est celui qui revient le plus souvent dans les forums féminins, et c’est certainement le plus adapté.
Les « débusqueurs», ceux qui tentent de prévenir ou déceler les femmes tombées dans des toiles d’araignées domestiques, prennent souvent l’image de deux disques fusionnant. Les deux disques, transparents, de couleurs différentes, s’entremêlent jusqu’à se recouvrir presque entièrement. C’est l’amour passion, l’amour fusion. Avec le temps, l’un se retire et pas l’autre ; l’autre garde sa place, et l’homme entreprend de coloniser la bien aimée.
C’est aussi en cela que la violence domestique est représentative de nos sociétés. De ce qui la constitue. D’un pouvoir bâti sur la colonisation. L’Europe a démultiplié ses richesses et s’est développée grâce à ses colonies. Comme le sont les territoires intérieurs de nombre de femmes. Dans le cas des violences conjugales, ce ne sont ni les chars d’assaut ni les prêts qui vont instaurer cette « occupation », mais bel et bien l’amour. Et c’est par la menace, la violence physique, ou du moins son « souvenir entretenu » que l’homme préservera son pouvoir. La violence surgit quand la menace, ou le souvenir de la violence contenue dans les violences psychologiques, ne suffisent plus.

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HAYET DARWICH
Travailler sur les violences conjugales est un choix politique et artistique. D’abord parce que je suis une femme qui vit dans un pays où une femme sur dix subit ou a déjà subi de son conjoint, copain ou ex, des violences ; parce que je vis dans un pays où une femme meurt tous les 2 jours ; où des viols sont perpétrés au sein du couple. Parler des violences conjugales, c’est comme parler de la guerre. Ces guerres qui nous entourent et nous incombent. Seulement cette guerre est plus insidieuse, elle se déroule dans la chaleur des foyers, lorsque les rideaux sont fermés. Et même lorsqu’elle déborde dans la sphère publique, elle reste une affaire privée. Lorsque les flics et les caméras ont débarqués chez O.J. Simpson, ce dernier rétorqua : « Cela ne vous regarde pas, c’est une affaire de famille. » Effectivement, trop longtemps cela ne nous a pas regardés, et encore aujourd’hui cela ne nous regarde pas. Ou plutôt nous n’osons pas regarder. Par peur ? Par pudeur ? Ou simplement par faiblesse et lâcheté ?
Ce n’est pas une leçon de morale, ce n’est pas une volonté de prise de conscience, c’est un questionnement. Comment l’amour se transforme-t-il en emprise ? Cela a-t-il seulement à voir avec l’amour ? On parle de crime passionnel comme si cela allait de soi. La violence est-elle intrinsèque à toute relation intime ? Comment le rapport homme/femme, censé être naturel, peut-il se détériorer à ce point ? Quelle est la responsabilité de la société dans tout cela ? Tant de questions que soulève ce sujet, et tant de fantasmes.
Travailler avec Gérard Watkins est aussi un choix politique et artistique. C’est faire le choix de travailler avec un auteur, catalyseur, récepteur et transmetteur. Son écriture de plateau est pour moi l’endroit même de l’acteur. C’est acter au présent de quelque chose d’antérieur, quelque chose qui nous dépasse, qui est plus fort que nous, qui se passe ici et maintenant et qui s’inscrit dans le temps pour devenir universel (si possible). En nous demandant d’aller creuser au fond de nous et sur le terrain, il nous pousse à rencontrer les personnes concernées par le sujet, qui investissent alors le travail de plateau et nous permettent d’affronter concrètement cette problématique en évitant toute abstraction.

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DAVID GOUHIER

La violence conjugale, ces deux mots ensembles, violence, conjugale.
Le lien amoureux devient difforme, prend toute la place, asphyxie l’autre. Ce qui paraît de trop, les frontières n’y sont plus, je rentre dans l’autre par effraction, elle me doit ça, elle doit payer, elle représente tout pour moi et elle devient ce qu’elle représente à mes yeux, la réalité se tord.
Mon impuissance m’exaspère, quelque chose m’échappe et je m’efface sauf si je tape. La violence conjugale se cache dans un nœud d’amour entre deux êtres.
La violence circule entres les êtres, j’entends à la radio, une femme succombe à la suite de coups reçus par son mari, elle est morte, il l’a fait, il l’aimait, il l’a tuée, dans quel monde est-il maintenant ? Toujours le notre mais je ne veux plus le reconnaître , il me fait peur parce qu’il l’a fait.
Tout conduisait à ça, rien ne pouvait dévier sa route, il ne manquait qu’un prétexte pour frapper, non la pulsion de tuer a surgi sans crier gare… Personne n’aurait imaginé, lui un assassin, je suis obligé de regarder cette réalité.
Et la mienne ?
Les liens sont invisibles et pourtant il faudrait qu’ils apparaissent pour m’en DÉTACHER.

David Gouhier est sortie de l’école du TNS à Strasbourg en 1995, il travaille avec Jean-Pierre Vincent aux théâtre des amandiers de Nanterre Dans Karl Marx theatre inédit , Le jeu de l’amour et du hazard, lorenzaccio, plus récemment L’école des femmes et Les acteurs de Bonne foi… Il joue en 2001 le rôle de Cébès dans Tête d’or mis en scène de Claude Buchvald , il travaille par la suite avec Elisabeth Chailloux où il interprète Arlequin dans La Fausse suivante, le rouquin dans Sallinger, il travaille avec Jean louis Benoît et interprète le rôle de Leonardo dans La Trilogie de la Villégiature de Goldoni. Il rencontre par la suite Laurent Gutmann avec qui il joue Spendid´s de Jean Genêt , le petit poucet adaptation de Laurent Gutmann. Au cinéma, il joue avec Pascal Ferran.Il mène également des ateliers à Nanterre Amandiers depuis 2005.

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MAXIME LÉVÊQUE

J’ai toujours le sentiment qu’il y a un lien de sang entre un charnier et une brimade faite à un enfant.
Il y a une urgence de long terme à parler des violences faites aux femmes, qui sont comme un monde sous le nôtre, dont on commence à peine à parler. En ce sens les implications politiques, sociales, émancipatrices du projet sont déterminantes pour moi. Mais il faut que ce soit Gérard qui le propose. Parce que ces questions ne sont pas a priori théâtrales. J’aime la façon dont le théâtre de Gérard se rapproche de l’histoire et de l’actualité sans rien enlever d’une exigence première qui est celle du plateau. Des empilements de matière à la César, où la tragédie côtoie le journal, sans que l’une ait à perdre quoique ce soit de sa relation avec de l’autre, mais comme des réalités contraires qui s’augmentent l’une l’autre.
Et c’est le fait d’une écriture. Précise. Radicale. Délicate. Folle. Dans une lointaine filiation de Brecht et d’Hugo, Strindberg et David Simon, dans une longue maturation des formes, qui travaillent à réduire les frontières et les a priori, à mettre en communication des choses de nature différente. Et c’est la même sensation que de rencontrer un biologiste qui explique que la mort et la vie sont un seul mouvement de la matière, des molécules.
Il y a un grand raffinement dans ce théâtre, ou les situations les plus simples sont toujours, insidieusement, les images de choses plus vastes. Il y a toujours un endroit où ces textes rejoignent quelque chose d’absolument fondateur.
Nous nous apprêtons à jouer aux cowboys et aux indiens. et comme tous les jeux d’enfants il s’agit d’apprendre à connaître notre monde, et y vivre. Le meilleur peut devenir le pire sans qu’on ait vu la frontière, par étourderie, ou par étourdissement. À quel moment la terreur prend-elle le pas sur l’amour ? Comment les coups viennent à la main ? Qu’est-ce qui se passe en nous pour que l’on ne réagisse plus à la douleur, au danger mais seulement à la terreur ? Quelles pensées précédent la violence et quels mécanismes la suivent. Bourreaux et victimes jouent la même histoire. Tout est la dans cette contraction. Comment et jusqu’où l’amour en est-il le centre ? Je crois que le travail de Gérard est une réponse à chaud à nos urgences politiques, mais par la profondeur et l’oxygène, l’attention à l’autre et la promenade. Des armes. Des armes inoffensives ou miraculeuses – imprévisibles, des armes dont on connaît mal la cible. Des armes qui ont l’intelligence du public pour percuteurs.
Il y a un plaisir d’acteur monstrueux dans la collaboration avec Gérard, a être un élément de l’écriture, un composé actif dans le précipité, et de retrouver ce que l’on a donné en improvisation, transformé, raréfié. De se retrouver soi dans de l’autre. Altéré au meilleur sens. Le texte qu’il a écrit pour moi dans Europia m’a laissé muet longtemps. Comme s’il m’avait donné un sol. Une sorte de maïeutique sans assignation.
Et je crois que les plus beaux moments de plateau ont à voir avec ça, avec l’apparition et la disparition, simultanées. Comme se réveiller à vingt ans et quelque et découvrir que l’on a un visage et que l’on est devenu un homme sans faire exprès.
Et qu’il faut vivre avec cette incarnation-là. Ces rapports de forces et ces assignations. Savoir que l’on m’écoute plus que ma voisine quand je parle à table. Et que les coups peuvent venir très vite à la main parce que c’est possible. Comment devient-on ce que l’on est sans faire exprès. On est toujours la victime de quelque chose et le bourreau de quelqu’un.
Et puis c’est aussi la joie de partager ça avec Hayet Darwich, fabuleuse sorcière du plateau, brûlée par ces questions. Auprès de qui j’apprends à voir et à entendre et avec qui je travaille, entre écoles et projet professionnels, depuis plus de 6 ans.
Aujourd’hui, besoin de ça. Besoin de joie et d’intelligence maintenant, et de risque. Parce que je trouve l’espoir partout possible comme jamais. Mais que j’ai peur, à trop y regarder.

Né à Paris en 1986, il découvre le théâtre avec Pierre Della Torre en 1996. Après des études de philosophie et de théâtre avec Bertrand Chauvet au Lycée Lakanal, il se forme comme acteur au studio d’Asnières, puis a l’ERAC, où il travaille notamment sous la direction de Gérard Watkins, Catherine Germain, Hubert Colas, Ludovic Lagarde, Rémy Barché, Ferdinand Barbet, Laurent Gutmann. Il travaille ensuite avec Nadia Vonderheyden dans la Fausse Suivante de Marivaux et François Cervantes dans l’Epopée du Grand Nord au théâtre du Merlan. Il travaille aujourd’hui comme performeur sous la direction d’Arnaud Troalic dans Polis Opus 1 Les paradis artificiels et Duncan Evennou.

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JULIE DENISSE a été formée à l’École de la Rue Blanche puis au Conservatoire National supérieur d’Art dramatique – 1997.
 Elle 
a joué notamment avec :
 Claire Lasne Darcueil Désir de Théâtre
 Julien. Fisera Belgrade
 – Patrice. Chéreau Elektra
 – Daniel. Jeanneteau et Marie-Christine. Soma Feux ; Adam et Eve
 Julie. Brochen Hanjo, Oncle Vania, Penthésilée
 – Gildas. Milin Antropozoo
 – Vincent. Gauthier Martin Ambulance, La Cuisine, Ailleurs tout près
 – Julie. Berès Poudre
 – Jacques. Bonnafé Comme des malades
 – Michel. Didym Le Langue à langue des chiens de roches
 – François. Wastiaux Les Parapazzi
. Elle a également dansé et interprété Terre d’ailes, La Nuit de l’enfant cailloux, chorégraphies de Caroline Marcadé et collaboré avec le Cirque Bidon et le Cirque en Déroute.

Elle a mis en scène : 
 Adieu Poupée et La Poème, avec J. Mordoj.

 Elle a participé à de nombreux enregistrements pour France Culture, et a également co-écrit “Le kabuki deriière la porte” avec Laurent Ziserman et Gael Baron.
LE PERDITA ENSEMBLE

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