À CONDITION D’AVOIR UNE TABLE DANS UN JARDIN
Texte et mise en scène de Gerard Watkins
Collaboration artistique de Lola Roy
Avec Gaël Baron, Julie Denisse, David Gouhier
Lumières de Anne Vaglio
Scénographie de François Gauthier Lafaye
Son de François Vatin
Administration de production de
Virginie Hammel et Anna Brugnacchi / le petit bureau
Production : Perdita Ensemble et La Comédie de Saint-Etienne – CDN
Construction décor Ateliers de la Comédie de Saint-Etienne – CDN
La compagnie est conventionnéepar le ministère de la Culture – DRAC Ile-de-France Accueils en résidence: Compagnie Balagan – Chalap –
Théâtre Gérard Philipe – CDN
7 au 9 et du 13 au 15 Octobre 2025 Comédie de Saint-Etienne
Du 4 au 15 Février 2026 au Théâtre Gerard Phillipe de Saint-Denis
À condition d’avoir une table dans un jardin
est une comédie dramatique, onirique, et politique. Dans un pavillon de la grande ceinture francilienne, un couple de bourgeois reçoit un avis étrange. Pour faire honneur à leur premier jardin, ils avaient acheté jadis une table en Iroko massif. Or dans les conditions générales de vente de la table était stipulé qu’au bout de dix ans, ils devraient accueillir un habitant d’une forêt équatoriale pendant onze nuits et dix jours. Le terme venant à échéance, Darius Wengue, BaMbuti de la République Démocratique du Congo, débarque à Orgeval pour réclamer son dû. Il procède à une scrupuleuse ethnographie du couple. Il fait le tour de leur lien à leur histoire, à leur arbre généalogique, à leurs fondations économiques, à leur culture, à leur maison, à leur jardin, à Emile Zola, et à la mort. La table, elle, demeure silencieuse dans le jardin, retenant en elle ses innombrables secrets.

ORIGINES
En 1991, je suis descendu du bus dans la petite ville de Pekan sur la côte malaise. Il y avait là un fleuve qui menait vers la jungle. J’avais l’intention d’aller rencontrer les Orang Asli (peuple originel). C’était un acte spontané. Je suis descendu du bus. J’ai demandé autour de moi qui pouvait bien m’y accompagner, et deux Malais se sont proposés. Ils n’étaient pas guide, étaient aussi curieux que moi, mais savaient où quand et comment les trouver. La barque a remonté le fleuve, nous avons marché dans la jungle, et j’ai pu rencontrer les Orang Asli. Je les ai accompagné à la cueillette du Rotin, à la chasse, et le soir nous avons passé une partie de la nuit à parler devant un grand feu. Ils me demandaient des nouvelles de l’Europe. Je leur ai répondu qu’une guerre s’y préparait (Guerre du Golfe 1). Ils ont ouvert grand les yeux et ils ont souri comme si c’était une bonne nouvelle. Ils étaient préoccupés de leur habitat. J’ai dormi dans un refuge de fortune et j’ai entendu les bruits de la jungle me travailler toute la nuit. Le lendemain nous sommes rentrés. Nous avons pris un autre chemin, plus rapide, et j’ai vu les scieries à l’œuvre. C’était comme s’il avait suffit d’une nuit pour effacer le mystère de la Jungle. La déforestation battait déjà son plein.

SUITES
Quelques années plus tard, j’ai vécu une très belle expérience avec Binôme, organisée par Thibault Rossigneux, et Le Sens des Mots. « Blind date » d’une heure avec un chercheur, sans aucune préparation, et de cette rencontre devait sortir une courte pièce. Mon binôme est Edmond Dounias, chercheur en bio-ethnologie. Il passe une partie de son temps au cœur des jungles à tenter de comprendre l’influence du monde moderne sur des sociétés tribales et recluses. Comment, par exemple, l’arrivée d’un téléphone portable peut changer le repas communal en un repas pris chacun dans son coin. De cela est née la première version de À condition d’avoir une table dans un jardin. J’y avais exploré une inversion. C’est une clé pour moi du théâtre, mettre la main dans un gant et le retourner. L’ethnologue y devenait alors celui qu’on appelé à tort « Pygmée », et Arnaud et Fabienne Parquet, les sujets, pollueurs, dépeceurs, conscients et inconscients d’une forêt lointaine. Nous, en quelques sortes. Dans cette courte version, la rencontre avec le Pygmée s’arrête au moment où la parole de Arnaud et Fabienne se libère enfin. Si j’entreprends de tirer le fil de ces personnages jusqu’au bout, c’est qu’ils ne m’ont jamais quitté, et qu’il me semble qu’ils nous hantent au quotidien. Ces personnages sont le reflet douloureux de notre impuissance et de nos compromis devant le réchauffement climatique et la déforestation. Du temps incroyable que cela met à l’occident de s’arracher de ses réflexes colonisateurs. Et de sa tendance à se regrouper de manière tribale dans un nationalisme qui se dissimule de moins en moins. Il s’agit, en somme, d’une étude bio-ethnologique de nos comportements. En provoquant une rencontre improbable entre un BaMbuti de la République Démocratique du Congo et un couple de bourgeois dans la grande ceinture francilienne. De tenter de comprendre par son prisme pourquoi la décolonisation tarde tant à s’inscrire dans les esprits. D’y étudier de manière anthropologique la France péri-urbaine, son enfermement, ses contradictions, ses retranchements, son aveuglement. De faire théâtre de cette rencontre. C’est à dire d’en transposer et sublimer la moindre seconde et d’en faire choc. De travailler, d’étirer, et rétrécir le temps dans la non-réalité de ces onze nuits et dix jours.
ETHNOGRAPHIE THEÂTRALE
Dans ce que j’écris, il y a toujours une grammaire, une étude, un guide. Qui structure la forme. Ce spectacle s’appuiera sur des termes désormais indissociable, le lien entre l’humain et son environnement naturel. Il y a eu une première étude du « Pygmée », selon les écrits existants. Car c’est selon ce prisme que l’étude du couple occidentale pourra prendre forme. Sa propre vision de nous, chancelants, prêts a retourner dans nos plus sombres erreurs et travers. En considérant ce qui reste de naturel et ce qui ne l’est pas, ou plus, dans nos sociétés. Et en considérant bien sûr ce que l’occident a pu fabriquer et fabrique encore comme désastre, tout en affectant la posture du juste. Cette forme, cet angle d’approche, me paraît particulièrement adaptée à cette fable. Et nécessaire dans ce qu’elle a à proposer comme reflet/miroir au public. Darius Dengue remontera le long fleuve des tendances anthropologiques, qui mènent jusqu’aux courants récents de Philippe Descola, pour l’étendre aux dernières avancées de Mohamed Amer Meziane, vers une anthropologie métaphysique. Cette ethnographie, nous l’avons mis en fiction, avec les acteur.ices en poussant, par le biais d’interviews leurs biographies, et en les faisant ce rencontrer in situ, à Chalap, dans les Cévennes, dans un lieu qui proposait des multi-espaces de vies. Nous avons remonté le fleuve de cette histoire en passant par le déterminisme, le culturel, le structuralisme, les liens familiaux et le tabou, pour s’axer ensuite sur la mort et la religion. Nous l’avons fait en temps réel, c’est à dire en 10 jours et onze nuits. L’écriture du texte, à la Chartreuse en Avril 2024, est largement inspirée de cette expérience.

FUGUES
GERARD WATKINS
La mise en scène est axé, plus que jamais, autour des acteur.ices, et de leurs interactions dans un espace commun mêlant l’intérieur et l’extérieur. Il s’agit ici d’un théâtre de situation, dialogué, musical, qui dépend essentiellement du travail en amont de constitution des personnages que nous avons entrepris à partir d’improvisations. Mais il n’est pas cloisonnée par un quatrième mur pour autant. Les séquences de Darius Dengue et de Radio Okapi, sont là, en un geste simple, pour bouleverser le linéaire de la représentation et nous interroger sur le dispositif que nous regardons. Comme si nous basculions dans le résultat de cette recherche, en direct, par un biais à la fois poétique et intime. Elle nous permet aussi de franchir nos frontières, physiques, et mentales. Nous verrons la table bien sûr, comme un arbre qui a été tranché dans sa longueur, et, derrière lui, la représentation poétique d’un catalpa de tissus et de carton. Nous verrons aussi quelques meubles d’intérieurs, espace que Darius Wengue va progressivement s’approprier. Il y a aussi un espace invisible, le sous-sol. L’espace où les Parquets ont enfermé leurs enfants pour ne pas qu’ils croisent Darius. C’est un espace important, car il représente ce que nous ne transmettons plus aux générations à venir. Il représente notre avenir.
S’il est important de ne pas lâcher l’introspection du couple, il est tout aussi important trouver la manière de libérer la parole de Darius Wengue, au delà de ce qu’il tait. Au delà du silence qui se terre sous ses questions. Cela, je l’écris avec les incursions de Radio Okapi, (radio de la RDC pour lequel Darius enquête), brisant le quatrième mur, et déplaçant la représentation dans sa temporalité. Faisant de sa pensée intime un évènement public. Avec la complicité de Gaël Baron, nous avons entamé des recherches sur son pays d’origine, la République Démocratique du Congo. Le livre de David Van Reybrouck a été particulièrement fort et instructif, tissé de précieux témoignages. L’histoire du « Congo » est révélatrice de ce que les colonies ont pu inventer de pire en termes de destruction et d’abus. Ce voyage au « cœur des ténèbres » aux frontières hallucinantes de l’horreur, aux inventions ubuesques et absurdes, nous allons le faire avec Darius, qui remontera le fleuve jusqu’à la source de ses maux. Il le fera avec le regard des oubliés parmi les oubliés ; le peuple Pygmée, dont le nom seul est une discrimination qui puise ses origines dans le regard occidentale sur eux au 19 eme siècle. Au delà de considérations sur leur taille, le « peuple de la forêt », comme les Dayaks, comme les Penans, comme les Yanumani, sont des êtres marginalisés et menacés. Chasseurs cueilleurs que la déforestation pousse à s’exiler dans des zones urbaines pour trouver du travail. A vivre cette contradiction, participer à la destruction de leur habitat au nom de la modernisation, ou périr avec lui.
Ce qui m’intéresse, c’est comment quelqu’un de profondément blessé peut entreprendre une ethnographie sur un couple vivant en milieu péri-urbain. Lui céder la place d’observateur, de catalyseur, de sismographe de ce que nous sommes devenus aujourd’hui. C’est le début d’une rencontre à cœur ouvert. Il n’y a aucune valeur à cette ethnographie autre que humaine, poétique et théâtrale, bien sûr, car une ethnographie ne se contenterait pas d’un seul couple, ni d’un temps aussi bref. Il s’agit bien d’aller au bout de la fable. Quelque chose dévoilée par les arachides et des arachnides à l’œuvre, pour débrider la parole, et l’emmener vers une poétique de l’intime et du déchirement. Il y a bien sûr aussi la comédie inhérente à tout ce que j’écris, autant dans la forme, les situations, que dans ce qui est proposé en terme de jeu, toujours humaine car elle refuse toute forme de cynisme. Cela fait plusieurs décennies que le signal d’alarme a été tiré concernant le patrimoine de la forêt primaire qui disparaît, allant de peu à peu, à de plus en plus vite, en à peine quelques années. Patrimoine végétal, animal et humain sacrifié dans l’indifférence totale. Bien longtemps que le signal d’alarme a été tiré sur les effets de l’entre soi péri-urbain, doublant en l’espace de 10 ans le score du Rassemblement National. Il y a un lien évident entre la colonisation et le désastre écologique et politique dans lequel nous semblons pris en étau. Il y un lien évident entre notre silence et la guerre qui se mène à l’est de la RDC, dont les enjeux miniers servent à la fabrication de nos portables. Ce texte cherche à explorer ces liens de manière libre et humaine par des tissages dramaturgiques inhérents à un théâtre dédié à l’art du jeu.
GERARD WATKINS
Crédit photos : Sébastiao Salgado / Amazônia
GERARD WATKINS pour le Perdita Ensemble